Les mots pour dire le sexe

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Le Dictionnaire des mots du sexe d’Agnès Pierron, qui vient de paraître, témoigne de l’inventivité de la langue française sur le sujet. Mais pour quel usage aujourd’hui?

« Se taquiner le hanneton », « branler en chocolatière », « faire éternuer son cyclope », « avoir ses coquelicots »… Agnès Pierron a recensé plus de 5000 expressions toutes aussi inspirées dans son vaste Dictionnaire des mots du sexe. Un pavé réjouissant de 900 pages, qui explore, autour de thématiques (arts et spectacles, fruits et légumes, religion, jeux et sports, etc.) tout ce que la littérature, mais aussi le parler populaire ont pu inventer pour évoquer la gaudriole et ses à-côtés.

Et en la matière, les métaphores sont à la fête: « Les avoir en oreilles de cocker » illustre avec poésie des bijoux de famille en berne; « Râper le gruyère sur la nouille » s’adresse aux onanistes; « Se laisser combler par les trois rois mages » suggère une pénétration multiple; « Changer les couleurs » désigne celui qui prend une nouvelle orientation sexuelle; quant à « Prendre les chemins de Fatima », allusion à cette ville du Portugal où les croyants se rendent à genoux, l’expression évoque l’art de la fellation.

Docteur ès lettres et dramaturge, l’auteur de l’ouvrage est une collectionneuse de bons mots. En témoigne cette trouvaille inédite, rapportée par un habitué du bois de Boulogne: « Aller au feu follet sur les neiges éternelles ». Une allégorie des petites loupiotes portées par les prostituées et éclairant les monceaux de Kleenex répandus sur le sol…

« Une époque pauvre en création linguistique »

A l’heure des ébats virtuels et des déclarations par textos, l’audace est-elle encore de mise? « Notre époque est très pauvre en création linguistique », déplore Agnès Pierron. « Le vocabulaire ne rebondit pas avec les nouvelles technologies. Pis, la plupart des gens refusent de parler par métaphores, ils trouvent cela vulgaire. Nous sommes dans une ère de l’image qui fait la part belle au porno, mais pas à l’érotisme ».

La journaliste Maïa Mazaurette dissèque les habitudes sexuelles de ses contemporains sur son blog Sexactu.com et confirme: « Internet a libéré la parole, pas les mots ». Séparés par les écrans de leurs ordinateurs ou de leurs téléphones, les amants modernes semblent avoir perdu l’inspiration. Leurs langues se nouent, coincées entre un jargon médical et un parler trop cru.

A croire que parler de sexe n’est pas dans l’air du temps. Il suffit, en tout cas, de visiter une librairie pour mesurer l’état des obsessions contemporaines: « Il y a plus de recettes de macarons que de Kama-sutra », observe Maïa Mazaurette. « Plus de guides des terroirs que de dicos de l’érotisme! » Curieux paradoxe, qui veut que la pornographie envahisse l’espace public sans exciter, pour autant, l’imagination collective. Placardé dans le métro, au cul des bus ou même invité en prime time dans les émissions de télé-réalité, le sexe ne s’affiche plus que pour émoustiller les consommateurs.

La presse féminine en sait quelque chose, qui a longtemps misé sur la provocation pour vendre du papier. Dans les années 1990, Elle n’hésitait pas à titrer en Une: « Etes-vous une salope? » En 2008 encore, le Groupe Alain Ayache lançait Les Juliettes, « le magazine féminin sexe et city », sans craindre de proposer un dossier « spécial lèche », et son quiz « Etes-vous une bonne suceuse? ». Las. Le trash ne fait plus recette. Ce bimestriel a fait un flop et ne paraît plus. Sensuelle, un autre périodique lancé au même moment, prétendant parler, lui, « explicitement de sexualité » aux femmes, a eu plus de chance mais révise ses ardeurs. Témoin, les titres soft du dernier numéro en kiosque: « Les dix trucs à éviter au lit », « Quel est votre type d’homme? » ou encore « L’amour en plein air ». On a vu plus salace.

L’époque serait-elle à la pudeur? Le scandale provoqué par le seul « Va te faire enculer, sale fils de pute! » lancé par Nicolas Anelka à Raymond Domenech, puis affiché en couverture de L’Equipe, semble en témoigner. Si les ventes du journal se sont envolées, reproduire mot pour mot une insulte aussi explicite a choqué. Le publicitaire Pierre-Ivan Bouffard, qui dirige l’agence Grenade, confirme l’inversion de tendance: « Les mots du sexe n’amusent plus. Depuis une quinzaine d’années, la publicité est devenue plus visuelle que rédactionnelle. Très peu de campagnes véhiculent une connotation sexuelle par les mots, elles préfèrent passer par l’image ».

« Moi, je décharge plusieurs fois par jour »

Exception notable, souligne-t-il, la publicité d’une vulgarité rare imaginée par le loueur de voitures Sixt, diffusée sur Internet. Soit plusieurs clips (et leur version en bandeaux) avec l’acteur porno Rocco Siffredi dans le rôle du vendeur déclamant: « Moi, je décharge plusieurs fois par jour », à un client qui vient chercher un véhicule utilitaire; « Les allemandes, je les cravache », à un autre sur le point de louer une berline. Et pour vanter les mérites d’une Smart: « Pas la peine d’en avoir une grosse ». Subtil.

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Pour Pierre-Ivan Bouffard, « une telle campagne paraît impossible à vendre aujourd’hui. Le propos est lourd, insoutenable même. Il y a vingt-cinq ans, la publicité pour le bâtiment, la construction, l’automobile piochaient dans ce registre. Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible ».

A telle enseigne qu’une célèbre marque de cosmétiques grand public a fini par renoncer à la campagne sur Internet qu’une agence avait conçue pour son nouveau rouge à lèvres: une bouche très maquillée, filmée en gros plan, chantant « Déshabillez-moi ». Les annonceurs ont adoré, mais ont aussitôt eu peur de choquer.

Et dire que « sexe » est le terme le plus recherché sur la Toile… Le sociologue Jean-Claude Kaufmann, qui vient de publier Sex@mour (Armand Colin), analyse ce curieux décalage: « On assiste, d’un côté, au développement d’une sexualité dédramatisée, banalisée, débarrassée de son aspect transgressif: c’est la conséquence d’un processus de libération des moeurs amorcé il y a un siècle et qui continue sur sa lancée. De l’autre, on constate un retour de pudeur, vestimentaire notamment. Notre époque est marquée par une sorte de fatigue mentale, qui favorise le retour de valeurs comme l’amour et la fidélité… »

Les amants ne sont plus en verve. Ils sauront désormais où puiser leur inspiration.

1200 mots pour le sexe

« Le premier linguiste à avoir travaillé sur cette question, Pierre Guiraud, a relevé 600 mots pour évoquer le pénis et autant pour le vagin », note son ancien élève, l’écrivain Louis-Jean Calvet, auteur du Jeu du signe (Seuil). « L’acte sexuel est d’abord décrit comme un travail, voire un artisanat. Tout terme de métier pourrait métaphoriquement le désigner. Il y a bien sûr le verbe « besogner », mais aussi « limer », « fourbir », « enfourner », etc. Le pénis, lui, est souvent désigné par un instrument ou une arme: arbalète, bistouri, chalumeau, cheville, engin, gourdin, instrument, noeud, bâton, pieu… Le vagin, pour sa part, se résume à un lieu, une gaine, un fourreau, à un champ que l’on laboure ».

Dictionnaire des mots du sexe, Agnès Pierron, Edition Balland.

Delphine Peras

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