Laurent Raphaël

Art Core

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Par Laurent Raphaël

Ça faisait un petit temps qu’on avait envie de hisser l’étendard de l’art « différencié » (ou « outsider » ou « brut », peu importe l’étiquette qu’on colle à la création jaillie de ces cerveaux fonctionnant avec un ou deux pistons en moins). Plus exactement depuis qu’on s’était pris une claque artistique en allant se perdre un dimanche pluvieux du côté du Musée du Dr Guislain à Gand, ce havre bucolique dont la quiétude était régulièrement ébranlée par des cris s’échappant de l’aile encore occupée de l’asile. Pour un peu, on se serait cru à Shutter Island, la mer en moins. Ce jour-là, face à des portraits venus d’ailleurs vous écorchant vif, vous aspirant vers le néant ou, au contraire, vous prenant dans leurs bras ultra colorés, on s’était senti désemparé, écartelé, déboussolé. A mesure qu’on affrontait ces corps déchus, ces formes minérales, ces traits concassés (l’art des déficients mentaux, très physique, s’abreuve aux tripes), une part enfouie de nous-même semblait s’extirper de sa glaise pour renouer un dialogue primitif.

Une expérience intense et remuante. Comme si on venait de découvrir en nous un double enseveli sous une couche graisseuse de civilisation. Un saut dans l’inconnu et l’étrange défiant la gravité esthétique et temporelle. Et bousculant au passage nos certitudes sur l’art. Si la furie chromatique d’un Francis Bacon déclenche les génuflexions, pourquoi pas l’alphabet désossé d’un autiste qui en connaît aussi un rayon en matière de ténèbres? Il y vit même jour et nuit. Les artistes ne sont-ils pas des « fous » en liberté?

Quelques pionniers de la psychiatrie, épaulés par des visionnaires comme Dubuffet, ont compris avant tout le monde que l’art pousse sur tous les sols, même les plus arides. À un moment où ce courant alternatif, qui électrise nos regards (désab)usés, sort enfin de l’ombre, on voulait transmettre à notre tour cette pulsion incandescente, en badigeonner le magazine.

L’actu nous a prêté main forte pour ficeler ce musée d’art « outsider » portatif. Une expo à la galerie Art & marges, une autre à l’initiative du Créahm, plus un spectacle de cirque jonglant avec les cases, il n’en fallait pas plus pour passer de la théorie à la pratique. On aurait pu jouer petits bras et glisser un dessin par-ci par-là. Pas le genre de la maison. On est allés frapper à la porte de quelques institutions (Art & Marges, La Pommeraie, le Créahm, La Clairière et Campagn’Art) pour leur demander d’illustrer un numéro entier de Focus. Nos interlocuteurs ont tout de suite dit oui. On leur a donc soumis les sujets. Ils les ont confiés à leurs artistes quand c’était possible. Ce qui nous vaut par exemple un portrait de Jaco Van Dormael par Pascal Duquenne ou cette superbe couverture cosmique de Serge Delaunay. Et quand la porte de leur monde était verrouillée à triple tour, les animateurs ont pioché dans leurs cavernes d’Ali Baba des oeuvres qui reflétaient à la fois l’incroyable diversité des techniques, du trait au bic compulsif aux peintures naïves en passant par le graffiti élaboré, et qui collaient de près ou de loin aux articles. On vous laisse déguster…

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