Critique

Une famille respectable

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

DRAME | Un intellectuel iranien subit la bêtise du système et les turpitudes de son milieu social, dans un film audacieux et brûlant.

DRAME DE MASSOUD BAKHSHI. AVEC BABAK HAMIDIAN, MEHRDAD SEDIGHIAN, MEHRAN AHMADI. 1H30. SORTIE: 31/10. ****

Le courage des cinéastes iraniens, comme celui des étudiants qui osent défier la terreur du système, n’a de pareil nulle part dans le monde. Massoud Bakhshi est de la trempe de Jafar Panahi, de cette intelligence persane qui ne supporte plus le joug abrutissant d’une théocratie islamique aussi rétrograde qu’oppressante. Le héros de son film, Arash, exerce à l’étranger son métier de professeur au niveau universitaire. Invité à revenir dans son pays natal pour y enseigner durant un semestre, il s’y verra confronté à plusieurs menaces. Celles d’autorités promptes à interdire la diffusion de ses travaux, même parmi ses étudiants, et pour lesquelles les réunions de poésie auxquelles il convie certains élèves ne peuvent qu’être suspectes. Des autorités qui lui refusent par ailleurs les documents nécessaires à sa sortie du pays… Mais Arash verra aussi de mauvaises surprises venir de son environnement familial, une question d’héritage éveillant dans la bourgeoisie affairiste de Téhéran des convoitises faisant fi de tout scrupule moral. D’un côté (le pouvoir politique et académique) une pose morale intégriste, de l’autre (la classe aisée) une absence de morale assumée. Le héros est pris entre deux feux, dans un scénario que n’aurait pas renié Kafka.

Conscience critique

Babak Hamidian joue remarquablement le personnage d’Arash, plongé dans une société où aucun de ses repères n’est plus valide, une société déboussolée, prise entre fondamentalisme idéologique et avidité matérielle. Sa performance restitue les frustrations, les peurs, mais aussi les colères, la révolte, d’un homme qui va devoir faire des choix… et qui les fera, jusqu’à un final extraordinaire qui ne devrait pas faire de Massoud Bakhshi un favori des censeurs veillant aux destinées du cinéma iranien. Grandi à l’école du documentaire, il ancre fermement dans la réalité la plus contemporaine une intrigue démultipliée façon film noir. Admirateur de la Nouvelle Vague et de Jean-Pierre Melville, il allie dans son travail la vigueur iconoclaste de la première, et la rigueur épurée du second. On est captivé par le spectacle d’un individu cherchant son chemin dans un terrain miné de toutes parts, un pays devenu piège et où, pourtant, souffle avec la jeunesse éduquée un vent d’espoir qui ne peut que prendre de l’ampleur. Dans une scène du film, on voit le personnage principal lire un ouvrage de la philosophe allemande Hannah Arendt, dont les livres sur le totalitarisme conservent aujourd’hui toute leur pertinence historique et sociale. Une manière pour Bakhshi de signer un appel à la conscience critique, cette conscience que ni l’intérêt, ni la peur ne doivent étouffer si le mot liberté veut conserver un sens. A Téhéran, et ailleurs.

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