En attendant Felix Da Housecat

Comme chaque semaine, Guillermo Guiz plonge dans le cambouis de la nuit bruxelloise pour vous en sortir les perles et les pertes. Night in, Night out, épisode 5.

Ca commence quelque part, forcément. Mais c’est flou. Mardi. Mercredi, jeudi, vendredi, samedi. La semaine a fait comme d’hab’, niveau enchaînement des jours. Et des nuits. « Night in, Night out », ou cette chipotante question: si rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, quelqu’un a vu mes neurones? Dire que j’ai connu DJ Anaxagore de Clazomènes quand il mixait encore sur une péniche…

Un peu comme le duo Kwak-Dobbeleer, en forme ionienne samedi soir à la Bodega: voici trois ou quatre ans, les Stricly Niceness peinaient à remplir un petit bateau sur l’eau. Aujourd’hui, elles blindent la salle molenbeekoise en claquant un doigt (tu peux le faire). Avec ses fidèles, sa chaleur, sa diversité, son amour de la musique et ses bizarreries: c’est pas de l’acharnement, mais l’excellent Simon Le Saint est ENCORE là, avec une bouteille de Piper-Heidsieck dans la main droite et un gobelet dans la gauche. Sérieux!

Champagne en plastique, « fuck the hype », on est là pour l’éclate simple, les chaloupes, les ondulés, pour un Instant Karma de Lennon et des passages jazzy, funky, housy aussi, et en parlant de house, il est presque 3h, Felix Da Housecat va démarrer son set au Libertine. Inratable. Pas raté. Enorme.

Mais d’abord, faut que je te raconte deux ou trois bricolettes sur la semaine. J’ai raté des tonnes de trucs sympas, Dr Lektroluv et la Zukunft au Fuse, la Fight Klub, Funkdoobiest au Nexx, et d’autres, mais j’ai pas mal tournoyé quand même: ne m’en veux pas si les lignes qui suivent sont décousues comme une braguette siffrédienne.

Mardi, traquenard. Inauguration du Glenmorangie Popup Bar, buvette temporaire planquée sur les hauteurs du très guindé Cospaia. Petite sauterie à la cool, terrasse finement sapée, whisky-Canada Dry à volonté, Cosy Mozzy en roue libre, concentré de Libertine Supersport, badauds de la Toison d’Or en plongée (losers!) et lamentable fin de party à l’Hilton d’en face. Continuer au Glenmorangie… Et y laisser 78% de son mignon salaire – émoticône avec une larme qui coule.

Mercredi, traquenard. Mais au Wood, pour la Celebrity’s, nouveauté : je me sens jeune, vachement moins périmé que d’habitude. House commercialo-rigolote, sale décadence et faut en profiter, parce que le lendemain (traquenard), j’y retourne pour me rappeler que la trentaine approche, sournoise petite catin, et qu’elle viendra rapidement dessiner des océans de compassion sur les visages arrogants des néo-clubbeurs d’ici. Aux suivants… Ca me donne envie d’aller voir Olivier Gosseries au You, tout ça…

Ben oui, vingt ans qu’il est dans la place. Un meuble de la nuit bruxelloise, véhicule house du Mirano ou de Who’s des grandes époques. Et occupé, pour le sixième anniversaire de ses soirées Noisy Boys, à remuer le club adolescent de la rue Duquesnoy via la tech-house pas mal foutue de son équipe (Milo notamment). Il a quel âge le Gosseries? Passé 40 certainement. « Trop out le mec », « has been », « etc. » Bla-bla-bla. Quand je débarque au You, vers 3h30 vendredi, on dirait juste un gamin turgescent, sourire béat aux lèvres et oui, il porte un sweat griffé Noisy Boys, mais on s’en tape : les kids ont vingt-cinq piges de moins que lui, il s’éclate, il a l’air heureux, il a raison. Envie de ranger mes questions putassières et de le laisser tranquille. « Je t’appellerai demain, amuse-toi, t’as l’air trop bien ». En plus, ça m’arrange, parce que la tite meuf que j’ai repérée se fait draguer par Stromae. Faut que je mette ma mèche en opposition.

Je parlais gentiment coco la semaine passée. La sniffe, c’est arrivé près de chez toi: l’hypocrisie à cet égard, c’est comme la guerre et David Guetta, c’est paaaas bien. Et quand je fais mon petit people à deux balles dans les sauteries « qu’on est entre nous », j’ai parfois tendance à oublier ce que j’ai vu vendredi à l’entrée du You: quatre mini-hommes, pas vraiment mal fagotés, se fracassant les illusions sur la sècheresse du portier. Etre un petit mec avec une bouille pas bien belge, ça te facilite pas l’apprentissage du clubbing. « C’est pas possible. Soirée privée ». Le plus petit s’emporte, on voit ses nerfs: « Je vais porter plainte aussi moi. On est là, bien habillés, on a de l’argent à dépenser ». Avant de crier sa frustration comme un ptit louveteau et d’être gentiment rappelé aux douces réalités des disproportions physiques par l’un de ses sages compères: « Laisse tomber, t’as vu comment c’est un boeuf le portier? » On en débat à l’occasion?

Réflexion: il reste quoi comme vrais concepts nocturnes à Bruxelles? Genre un truc qui te retourne dans tous les sens, qui t’en met plein les dents? Je me suis demandé ça au vendredi en début de nuit, au Parc Savoy, sorte de petit frère mal nourri des Jeux d’Hiver. Dans le milieu un peu chic sur soi, fallait être à la soirée So Happy in Paris. Mais avoir le sosie de Jabba The Hut à côté du DJ booth, c’est pas un concept. Avoir un DJ qui porte un béret Kangol blanc à l’envers, c’est un rétro-concept, mais c’est pas un concept. Des gens, un lieu, de la musique, c’est pas un concept. « Faut absolument que tu dises qu’après ton départ, Michael Canitrot (qui organisait) a mis le feu », me confiera une copine, le lendemain. Ok, mais ça reste toujours pas un concept.

Alors on part, ma pote et moi, pour se retrouver nez-à-nez avec l’une des plus belles incongruités du week-end: une soirée municipale en pleine chapelle de Boendael, à l’initiative du bourgmestre ixellois Willy « je veux dormir la nuit » Decourty. Bon, y’a des DJ djeunz, mais en entrant, ma pote et moi, on double quasiment l’assistance. Quand même rigolo de voir que Decourty, ici dans le cadre des Tombeaux de la Paix, peut souffrir une douille d’électro de temps en temps.

Mouvement. Au Marquee, un peu plus tard, les ptits mecs de Play Label balancent la troisième édition des soirées Les Artistes. Avec un concert rock emballé dans des DJ-sets électro. J’étais passé la veille pour la soirée traditionnelle Ottati’s du jeudi: malgré la présence du tout bon Mickey – le jeune prodo-Dj bruxellois dont le track disco-house Farfalle commence à être joué un peu partout -, pas grand grand monde. Davantage de têtes (jeunes) ce vendredi. Degré de ma vieillitude? 72%. Je débarque sur un remix de Soulwax et sur The Funk Phenomena, la bombe historique d’Armand Van Helden. Envie de rester un peu. Et de taper la papote avec l’une des têtes pensantes (avec l’un des DJ’s montants du moment, Lorenzinho) de la plateforme Play Label, Fryderyk De Peslin Lachert.

Avec son look de dandy, sa gueule d’ange et son master en droit, le nouveau DA des soirées Anarchic semble échappé tout droit d’un film de Christophe Honoré. J’ai raté le concert des Donnets, j’étais trop (p)happy à Paris. « On mélange concert et soirée classique avec des sons entre le LibSup et les soirées Fight Klub, en se voulant plus accessible sans jamais tomber dans le commercial », explique Fryderyk, pendant que le pétaradant Flashmob de Vitalic grésille dans les baffles. Sympa, ces Artistes, mais pas forcément soufflant d’originalité. « J’ai des idées révolutionnaires, mais ce n’est pas facile à mettre en oeuvre, financièrement parlant »… C’est la crise à Bxl-Night, mon ptit monsieur, à vot’ bon coeur!

Retour samedi, juste avant la case Strictly. Passé minuit, au pied de l’église Sainte-Catherine et de ses fameux urinoirs publics. Le quai au Bois à Brûler accueille la soirée Sabotage, chez (?) Madame Moustache. Grosse tendance du moment, Madame Moustache (et son Freak Show), malgré des problèmes de voisinage. Cinq euros. « Faut bien payer les artistes », me lancent en choeur, mais sans coeur, les deux nanas du sas d’entrée. Diantre, et ma chronique? « Désolées ». Vengeance: à l’intérieur, sache qu’un type a sa veste nouée à la taille… Voilà. Branché, branché, c’est vite dit!

Madame Moustache, c’est l’ancien Los Romanticos. Nostalgie… Que de râteaux essuyés jadis dans ces murs, quand ils suaient encore la salsa, quand les danseuses virtuoses guettaient mes invitations avec crainte, quand mes pataudes ruades leur pourrissaient La Vida es un Carnaval de Celia Cruz. Pour le coup, le concept cabaret-spectacle a simplement prêté sa jolie coquille aux racines du gangsta rap: Arabian Prince, figure originelle des Niggaz Wit Attitudes (NWA), démarre son set vers 1h15. Un guest massif pour une entrée en force sur l’imparable Next Episode de son ancien complice Dr Dre. « I will show you my roots! », et c’est dans la poche. A ma gauche, en rouge, un type lève haut le poing, façon Tommie Smith et John Carlos aux Jeux olympiques de 68, mais avec une Kriek et un verre  » Maes  » au bout des doigts. Liberté!

Hip hop rageur, beats nineties bien crasseux, Arabian Prince (aka Professor X) emballe correctement la sauce pour une Sabotage plutôt authentique. Mais je t’ai dit, après le passage à la Strictly, Felix Stallings joue au Libertine Supersport! Da Housecat, c’est une pointure mondiale de la house. Un cador. Seulement, à 6h26, quand il danse avec « Mamy des toilettes » derrière le DJ booth, on voit juste un ptit mec de Chicago s’amuser à fond, comme Gosseries au You, à chanter Love Hangover de Diana Ross ou Controversy de Prince dans sa bouteille de vodka, avec l’intacte envie de faire plaisir aux derniers rescapés de la déglingue (présent !). En plus, à l’étage Supersport, l’Italien Solo (Sound Pellegrino) vient de me retourner le slip pendant une heure avec un set gorgé de punch technoïdo-festif. Verdict : gros happy end pour une grosse semaine. 7h, il est temps d’écrire les sms qu’on regrette et de rentrer dans ma patrie, le Broucouillisthan, seul, purgé jusqu’à l’os, pour me taper un DVD de Spike Lee. Et tomber raide avant d’avoir appuyé sur play. Rideau.

Guillermo Guiz

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