Couleur Café: Impressions du Front

© Philippe Cornet

Deuxième jour et premier sold-out sous le sceau des musiques noires avec la superstar canine Snoop, les faramineux kinois du Staff Benda Bilili et l’afro-life-soul de Femi Kuti et Nneka.

Sérieux

Samedi soir, 23 heures. « Snoop Dogg est exigeant ». Irène, responsable des relations avec la presse est diplomate. « Il ne veut pas de photographes pour les sites web ». Autrement dit, les restrictions imposées par l’ami des gangs et du bling bling pornophile correspondent bien à sa réputation: six gardes du corps perso et un cachet à six chiffres (en €). Plus quelques questions posées sur le sens de faire venir ce genre de star dans ce genre de festival: idéologiquement parlant, les deux semblent provenir de planètes différentes. Grosso modo, le premier est aussi néo-libéral que le second aspire à une compréhension globale et fraternelle du monde. Patrick Wallens, le patron, fatigué par une semaine abonnée aux rebondissements (voir ci-dessous) offre une bière dans un espace à peine épargné par les cuivres giclants de Femi Kuti, qui fait vibrer la scène Titan dans un show carnavalesque digne de papa Kuti. Deux heures avant, le Femi un brin hagard, errait dans l’espace VIP et nous demandait le chemin de la scène où entre deux poussées d’afro-funk, il fustigera bientôt le capitalisme. Couleur Café, terre de contrastes.

Light

Pas sûr que la politique soit la préoccupation des couleurcaféistes, nuée hétéroclite de plus ou moins jeunes où on peinerait à ne pas trouver des prototypes physiques du monde entier. Beaucoup de filles jeunes et jolies -mais où sont t’elles donc le restant de l’année ?- qui dansent, boivent et fument. Souvent en même temps, ce qui témoigne de leur degré d’éducation. Faut dire que l’après-midi est groovy: Nneka la germano-nigériane, se fait plaisir en caressant une turbo-soul excitante seulement brouillée par les interventions du guitariste, probablement un candidat ayant échoué à l’examen d’entrée chez Metallica. On exagère à peine. De fait, ce qui marche à CC, c’est le coup de bluff, le coup de rein, et parfois aussi le coup de mélancolie. Le Staff Benda Bilili, groupe de Kinshasa occupé à devenir à la mode (…) combine, au moins deux de ces trois éléments chimiques. Le bluff en moins. Rassemblant quatre types en chaise roulante et une autre victime de la poliomyléite -plus trois mecs sur pied- ils attirent déjà du monde en faisant leur line-check sous le chapiteau Univers. Il y a quelque chose d’incroyablement touchant dans leur musique qui refuse le chagrin et fait merveilleusement tortiller le cul…Hallucinant de penser qu’il y a quatre jours à peine, le leader du groupe, Ricky, se faisait opérer d’une vilaine fracture du fémur à Bruxelles. Parfois, la joie et l’inspiration des musiciens défient toutes les contingences: Staff, toujours prêt, est de ceux-là.

Sérieux again

En ce samedi soir, Snoop symbolise toute le crise de croissance de Couleur Café, si crise il y a. Belle croissance puisqu’un peu en-deçà du carton de 2009 -pas loin de 80 000 personnes- le festival complet ces samedi et dimanche, avoisinera les 76 000 spectateurs payants. « On s’est posé la question de savoir si Snoop représentait l’esprit du festival » reprend le boss Patrick Wallens, « mais il y a un moment où sans vedettes, on ne pourrait pas faire ce que l’on fait, inviter le Staff, Femi ou Nneka. C’est difficile d’estimer le nombre de gens que Snoop ramène mais probablement plusieurs milliers ». Bon, Snoop qui est en retard, n’est pas la seule interrogation de ce CC 2010 puisque le festival a du annuler la venue de Beenie Man, reggaeman crucifié pour son homophobie déclarée avant de se racheter en 2007 par un contrat stipulant ses nouvelles convictions qui ne seraient plus anti-gay…Il y a cinq jours, des protestations de divers groupes de pression contre sa venue faisaient soudain boule de neige: « Nos sponsors nous ont demandé des comptes et, politiquement, c’est remonté jusqu’au Conseil des Ministres. Pourtant, nous avions avec Beenie Man un contrat où un avenant stipulait qu’une quelconque déclaration ou allusion anti-gay ferait l’objet d’un procès de notre part…Cela n’a pas suffi ». CC a donc fait sauter la venue du Man, lui a réglé son cachet et pourrait bien être poursuivi, à son tour, par l’ex-homophobe. Ce qui n’a, en rien, empêché le feu d’artifice du samedi d’exploser comme un 21 juillet. Tant que CC continue à amener de la bonne musique et à poser des questions -même involontairement- on peut supposer que sa mission de service public est remplie!

Philippe Cornet

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