Critique | Livres

Camus, Rimbaud: la BD retourne aux sources

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

BD LITTÉRAIRES | Jacques Ferrandez adapte L’étranger pendant que Xavier Coste raconte Rimbaud… La BD n’en finit plus de trouver dans la littérature ses sujets de prédilection.

« Aujourd’hui, maman est morte. » Cette phrase, célèbre, ouvrait jusqu’ici le plus fameux des romans d’Albert Camus, L’étranger. Elle ouvre aussi, désormais, la dernière bande dessinée en date du Français Jacques Ferrandez, connu pour ses Carnets d’Orient et… son goût pour les adaptations d’oeuvres littéraires. Pagnol, Benacquista, Pennac ou Camus, déjà, avec L’hôte: Ferrandez aime depuis plus de 30 ans mettre son style semi réaliste et son sens du découpage et de l’aquarelle au service des oeuvres des autres. Un plaisir personnel –« Je suis toujours très fidèle au roman d’origine, c’est à chaque fois ma démarche; je m’attaque à une adaptation quand j’ai aimé le texte et que je souhaite le faire partager via mon propre moyen d’expression »– qui est en train de se transformer en norme dans le milieu de la BD: les maisons d’édition multiplient les partenariats directs (Gallimard et Futuropolis, Casterman et Rivages) ou puisent, comme Delcourt, dans les classiques libres de droits, pour alimenter des univers définitivement « cross-médias »: si on ne compte plus les adaptations BD au cinéma, c’est bien dans la littérature que la BD, elle, semble puiser ses meilleurs scénarios. Du pain bénit pour les éditeurs qui s’offrent ainsi des titres a priori porteurs, mais un cadeau empoisonné pour nombre d’auteurs qui s’y collent et qui ne ressortent pas toujours grandis du jeu cruel des comparaisons.

« Ne pas en rajouter »

Jacques Ferrandez s’en tire en tout cas avec les honneurs: son Étranger à lui se lit, vraiment, comme une bande dessinée, tout en restant au plus près du texte. « Camus, qui était aussi un dramaturge, a un grand sens du dialogue, nous a-t-il expliqué, ce qui facilite le passage d’un médium à un autre. Le défi consistait, aussi, ici, à ne rien rajouter à l’interprétation du livre, à en préserver l’énigme qui en est un des fondements. Je donne par exemple un physique à Meursault, ce que Camus ne faisait pas, mais même là, j’essaye de rester lisse, simple, presque flou dans les traits: il ne faut pas que mon interprétation du roman phagocyte celle des autres, même en BD. »

Le jeune Xavier Coste, lui, a choisi de s’attaquer à la littérature par la bande, via une biographie de Rimbaud, comme il l’avait fait avec la peinture pour son premier album, via une bio d’Egon Schiele. Là encore, l’éditeur y trouve le nom ronflant qui parlera à l’imaginaire collectif, mais l’auteur, cette fois, se dégage de toute comparaison hasardeuse et puise dans ses propres mots, même si ceux de Rimbaud, et Verlaine, y restent très présents. Moralité: si la BD est la fille bâtarde de la littérature et de la peinture, elle n’a en tout cas plus besoin du moindre test de paternité pour s’en convaincre.

L’étranger, de Jacques Ferrandez, d’après l’oeuvre d’Albert Camus, éditions Gallimard, 136 pages. ****

Rimbaud l’indésirable, de Xavier Coste, éditions Casterman, 128 pages. ***

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