Avec Axolotl Roadkill, Helene Hegemann fout la nausée

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A 18 ans à peine, l’Allemande Helene Hegemann publiait Axolotl Roadkill, un roman choc. Une véritable quête existentielle menée à grands renforts d’ecstas et de plagiat, qui arrive aujourd’hui en français. Attention, écriture sous influences…

Que peut livrer une auteur à peine majeure de son expérience du monde? À quoi s’accroche-t-on quand on semble avoir tout vécu? Et surtout: à quoi ressemble une révolte intime et violente quand elle doit flirter avec les impératifs marketing? Helene Hegemann arrive à notre rendez-vous le regard amusé. Rideau de cheveux douteux, pantalon militaire mais ongles vernis. Traduite en français un an après avoir fait scandale en Allemagne, Helene doit aujourd’hui faire sa place, balayer cette ombre qui lui colle déjà à la peau comme un vilain eczéma: être une auteur radicale, anarchiste, provocatrice.

« C’est un cliché qui s’est formé, rectifie-t-elle d’emblée. Dans mon travail, j’essaie d’entremêler tradition et anarchie. Ce n’est pas juste le fait d’être une petite punk, ce n’est pas ce que je veux transmettre.Ces préjugés vont contre mon roman, ils en neutralisent le contenu. »

Avec 100.000 exemplaires vendus en Allemagne, son imprononçable Axolotl Roadkill, rallié quasi immédiatement par une critique en quête de sensations fortes, est devenu un phénomène. « Tout au début, j’ai pensé que mon livre toucherait surtout une petite scène berlinoise. Mon succès a été une question de hasard. Personnellement, je suis très contente de pouvoir gagner de l’argent avec mon bouquin. Je suis indifférente à ce qu’on peut en dire d’un point de vue artistique si ça me permet de payer mon loyer… », lâche-t-elle, soudain moins soucieuse de son image.

Axolotl Roadkill est l’histoire de Mifti, une jeune Berlinoise de 16 ans qui vit de sévères décrochages et d’acides désillusions. Ambiance Requiem for a dream, les pupilles de la narratrice et sa vision du monde se dilatent en même temps que la drogue s’infiltre dans son univers. Un quotidien noirissime imprégné d’autant de vomissures que d’écoeurement, qu’accompagnent parfois poésie fulgurante et quête philosophique extrême. « La société actuelle croit fonctionner mais elle est décadente. En faire partie impose de trouver un but, un sens à sa vie. De réaliser ses objectifs et puis mourir. Pour moi, l’héroïnomane poursuit exactement le même schéma: il s’est trouvé un but, il sait comment le combler et atteindre son objectif. »

Le sexe, avec les deux sexes, y est brutal. Face à ces prégnances unanimement soulevées, Helene réagit: « Je ne trouve pas que le sexe et la drogue soient au centre de mon livre. J’ai compté les pages, et il y a peut-être 20% du contenu qui s’y rapporte. Je ne veux pas que mon bouquin soit interprété d’un point de vue psychologique. La psychologie appartient à un autre siècle. Il faut réagir à ce qui se passe, au lieu d’être dans l’analyse. »

Venant régulièrement rythmer le récit, textos et mails, parfois issus de la vraie vie de Helene, participent de l’ambiance. Tout comme Berlin, un personnage à part entière du roman. Mais Helene nous désarçonne une fois de plus: « Ça aurait pu se passer ailleurs. Berlin en tant que ville n’est pas le centre de mon livre, ni sa vie nocturne. Ça a juste été une base pour monter mon histoire. J’avais besoin d’une grande ville dans laquelle faire évoluer cette fille, Mifti, loin des standards de son âge. »

Helene H., 18 ans, droguée, plagiaire

Peu après sa publication, une accusation de plagiat tombe. Immédiatement suivie par d’autres. C’est qu’Internet, arme à double tranchant, facilite autant les copier-coller que leur mise en lumière. On retrouve dans le texte de Helene des pans entiers du blog d’un certain Airen, bisexuel et toxicomane, mais aussi des paroles du groupe Archive, des citations et pensées repiquées de Malcom Lowry, David Foster Wallace, Maurice Blanchot ou… Kathy Acker, une auteur US qui a précisément fait du plagiat sa marque de fabrique. Les critiques allemands crient au scandale, admirateurs floués qui y voyaient jusque-là un chef-d’oeuvre.

Dans sa version française, le roman de Helene est désormais suivi de six pages… catalogue de ses « sources et remerciements ». Mais il pourrait bien y en avoir d’autres, prévient la maison d’édition.

Au détour des pages, une phrase illustre à la perfection la démarche de la pickpocket littéraire: « Peu importe où je prends des trucs, ce qui compte, c’est où je les emmène ». Une réplique en réalité pompée à l’une des cinq « Golden Rules » du cinéaste américain Jim Jarmush… qui repiqua lui-même le propos à Godard. Boucle ironique parfaite. Helene a incontestablement su s’entourer pour son premier roman. Même si elle a, semble-t-il, éprouvé quelques scrupules au moment de l’avouer. « Vous savez, avant la publication, j’avais par exemple remercié les bloggeurs de ma propre initiative. D’une certaine manière, j’ai cité mes sources. Mais leurs maisons d’édition voulaient les sources complètes, en bonne et due forme… »

On pénètre alors une conception autre, absolument libérée, de la propriété intellectuelle. « Je refuse que ces emprunts soient soulignés comme quelque chose qui m’est particulier. On est tous constamment influencés. Et pas uniquement en train de creuser dans des profondeurs qui nous sont propres, ce qui serait particulièrement emmerdant. J’assume complètement ces influences. Pour moi, c’est vraiment quelque chose de naturel. » Pourquoi les avoir alors intégrées à ses propres mots? Il n’y a pas de volonté de m’approprier ni de revendiquer quoi que ce soit. Je n’ai jamais voulu présenter ces idées comme étant les miennes. Je voulais travailler à partir de phrases qui m’intéressaient, les modifier, les changer de contexte, diriger une autre lumière dessus et prendre parti à leur sujet. »

Une liberté doublée d’ambivalence quand Helene expose ses velléités face aux dépendances affectives, rare portion sensible de son Axolotl: « Parfois, je pense que ce serait libérateur de pouvoir un temps échapper à cette boucle sans fin qui fait qu’on est toujours en train de chercher à aimer, toujours en recherche de quelqu’un d’autre que soi. Et pouvoir vivre en se centrant complètement sur soi. »

Intertextualité, sampling musical ou cut-up à la Burroughs, l’intertextualité façon Hegemann ne vient certes pas dissimuler un cerveau vide. Et les auteurs cités ne sont pas exactement desservis par son texte. On peut les voir au contraire surlignés par une pratique qui cherche d’abord à créer de nouvelles collisions de style et de fond, et à célébrer l’écriture contre tout. « Je crois en l’écriture. Elle me sauve de certaines choses. C’est une passion qui guérit. » Quand on l’interroge sur son style si particulier, qu’elle qualifie de « roadkill », Helene répond: « Rien. J’aimais bien ce mot. Je sais plus trop pourquoi… » Dommage, c’aurait fait une bonne conclusion. Retranchée derrière son rideau de fer, la jeune femme ne cache déjà plus son impatience d’aller s’acheter des clopes. Coffee and cigarettes, c’est Jarmush qui aurait été content…

Axolotl Roadkill, Helene Hegemann, Editions le Serpent à Plumes, traduit de l’allemand. 281 pages.

« You write like a roadkill », comme un animal écrasé. Et c’est le sentiment qu’éprouve le lecteur en refermant ce roman de Helene Hegemann. C’est dur, c’est cru parfois jusqu’à l’écoeurement.

Mifti est une ado « malheureuse comme la pierre » qui a choisi le chemin de la défonce, de la saleté et de l’errance. Ses amis eux-mêmes sont contraints de l’abandonner, tant elle est devenue un déchet pour la société. Pourtant, Mifti, 16 ans, a une demi-soeur qui l’entretient, un demi-frère parfois présent et un père, riche collectionneur de femmes qui tente maladroitement de maintenir la tête de sa fille hors de l’eau. Mais il y a surtout sa mère RMIste, alcoolo en tailleur Chanel, aussi déjantée que sa fille et qui a eu la bonne idée de mourir d’une rupture d’anévrisme alors que celle-ci avait 13 ans. Commence alors le décrochage scolaire: « Ce n’est pas que je pensais qu’on pouvait se débrouiller sans éducation, mais juste que je n’arrivais pas à m’y adapter ». Puis ce sont les soirées pourries où la baise, les « branlettes nasales » et les vomissures règnent. Mifti est devenue une épave d’indifférence qui n’a aucune « difficulté à regarder une petite fille se faire à la fois brûler la rétine avec du soufre bouillant et se faire enfoncer une bite dans le cul… »

Il faut s’accrocher, le langage est trash, voire ordurier, au diapason de cette jeune bohème que certains comparent à Rimbaud. Il est vrai que lorsqu’on relit Pitoyable frère, la ressemblance perturbe. Mais ce n’est pas la seule puisque l’auteur a opté pour l’intertextualité telle qu’on la retrouve dans la culture Internet. Âmes sensibles s’abstenir. (M.-D.R.)

Ysaline Parisis, à Paris

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