« Mein Kampf », d’Adolf Hitler, va être réédité en Allemagne

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La polémique semble durer depuis toujours: faut-il rééditer « Mein Kampf »? Mais le 1er janvier 2016, le livre tombera dans le domaine public, 70 ans après la mort de son auteur. L’Etat de Bavière, qui en détient les droits, vient de décider de le republier en Allemagne, accompagné de commentaires d’historiens.

Hitler est mort en 1945 mais son livre, qu’il a écrit en prison entre 1923 et 1924, est toujours là et n’en finit pas d’alimenter toutes sortes de polémiques. L’Etat de Bavière, qui détient les droits du livre à l’international (comme d’ailleurs tous les biens du dictateur), envisage désormais de republier l’ouvrage, interdit en Allemagne et en Autriche depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Mein Kampf, en français Mon combat, est un manuel de 700 pages, que les historiens qui l’ont lu qualifient de confus, d’indigeste, de mal écrit, présentant par le menu le programme et l’idéologie qu’Hitler allait s’empresser de mettre en pratique dès sa sortie de prison. Les années ont passé mais ce livre n’a rien perdu de son aura nauséabonde et déchaîne toujours autant de passions fétichistes. Dans la plupart des pays du monde, il ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune censure éditoriale, souvent au nom de la liberté d’expression, et reste un phénomène d’édition dans de nombreux pays d’Europe de l’Est, d’Asie, du Moyen Orient et d’Amérique du Sud.

Si les politiques mises en place dans chaque pays pour contrôler (ou pas) sa diffusion diffèrent, à l’heure de l’Internet globalisant, un autre problème se pose. Mein Kampf est en effet disponible intégralement sur le Net et de nombreux sites néo-nazis en citent des extraits, voir des passages entiers. Dès lors que le livre sera libre de droit, toutes sortes de récupérations risquent d’apparaître, des plus malsaines aux mieux intentionnées. L’Etat de Bavière avait jusque là été un garde-fou face à ces pratiques, utilisant ses droits pour intenter des procès et essayer d’enrayer des diffusions à grande échelle. Aux termes de ces procès, la Bavière est parvenue à interdire la vente de ce livre en Russie (en 1992), au Portugal (en 1998), en République Tchèque (en 2000 mais l’éditeur avait déjà réussi à écouler des dizaines de milliers d’exemplaires), en Pologne et en Turquie (en 2005).

Puisqu’elle devra abandonner ses droits en 2016, l’idée a finalement fait son chemin: mieux vaut prévenir que guérir. Avec une réédition légale, le livre, à l’image de la drogue, perdrait beaucoup de son pouvoir attractif. Et grâce à ce contrôle éditorial, une version annotée et expliquée, avec le contexte, permettrait de casser le mythe et éviter que d’autres ne s’en emparent. Pour l’Internet, d’autres solutions ont été avancées: la création d’un Observatoire de Prévention de la Haine, à volonté internationale, et un projet de résolution à faire adopter par les instances européennes. Un logo à apposer librement lorsque l’on cite des passages de Mein Kampf, pour assurer l’internaute que ce qu’il s’apprête à lire est à vocation pédagogique. Ce label serait un outil optionnel pour les gestionnaires de sites Internet, destiné à distinguer les articles à vertu éducatives des apologies du nazisme. L’idée serait qu’il soit universel, reconnu par les moteurs de recherche et que les sites qui en feraient usage se retrouveraient automatiquement en haut de page lors des recherches. Le livre d’Hitler ne serait alors pas seul concerné, également d’autres textes le seraient, comme Les Protocoles des Sages de Sion ou Les carnets de Turner de William Luther Pierce.

En Allemagne, la publication du livre n’est pas autorisée en mémoire des disparus et par respect pour la sensibilité des survivants. Et il semble qu’une partie d’entre eux soit effectivement opposée au projet. Comme Romani Rose, le président du Conseil central qui représente les Roms d’Allemagne. Pourtant, d’autres voix se sont élevées pour approuver ce projet, comme celle du secrétaire général du Conseil central des Juifs d’Allemagne, Stephan Kramer, ajoutant même qu’il était prêt à participer à l’écriture de l’appareil critique pour une édition « critique, scientifique et érudite« . La démarche est également intéressante à but historique. En 2006, un professeur d’université s’était vu menacer d’un procès s’il continuait à fournir à ses étudiants des photocopies du livre pour leur permettre de travailler (en Allemagne, la possession d’un exemplaire datant d’avant 1945 est tolérée). La Bavière a rappelé que même en 2016, il sera toujours interdit d’exprimer des opinions nazies en Allemagne et qu’une édition non commentée de Mein Kampf pourra être poursuivie pour cette raison.

Il est pour le moment difficile de savoir si cette décision posera ou non plus de problèmes qu’elle n’en résoudra. Mais il s’agirait en tout cas d’un tabou de plus brisé en Allemagne concernant cette triste page de son histoire.

Marianne Delaforge (stg)

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