Critique

Le Havre

COMÉDIE DRAMATIQUE | Avec Le Havre, le cinéaste finlandais Aki Kaurismäki signe un miracle de film; un drame de l’immigration clandestine qui, sous ses airs désuets, dispense une humanité généreuse et bienvenue.

Le Havre, comédie dramatique de Aki Kaurismäki. Avec André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin. 1h33. Sortie: 04/01. *****

C’est Jean-Pierre Darroussin, nouveau venu dans l’univers du réalisateur finlandais, qui le constatait: « Aki Kaurismäki fait des films qui, même lorsqu’ils sont en couleurs, sont en noir et blanc, et, même quand ils se situent dans une époque moderne, se déroulent en 1960. » Une manière d’humeur, et d’humour, déjà, comme frappés de désuétude, en guise de rapport au monde. Ainsi, Le Havre, dernier opus de l’auteur de L’homme sans passé, un film qui s’ouvre sur une scène rocambolesque et laconique où des tueurs de carnaval s’échangent des coups de pistolet sous le regard impassible de 2 cireurs de chaussures. Une retraite prudente plus tard, et l’on retrouve l’un d’eux, Marcel Marx (André Wilms), ex-écrivain et bohème de son état, en compagnie de son épouse, Arletty (Kati Outinen), dans leur petite maison d’un quartier populaire qui semble figé dans une époque indéfinie mais définitivement révolue. Jusqu’au bistrot du coin, La Moderne, qui pourrait apparaître comme la relique incertaine d’un temps où le formica dictait sa loi, quand ce n’était pas la gomina.

Il ne faudra guère attendre, cependant, pour que la violence du monde contemporain ne s’impose dans toute sa rudesse. Et cela, lorsqu’un container chargé d’immigrés clandestins originaires du Gabon est découvert au port. Parmi eux, Idrissa (Blondin Miguel), un gamin qui, ayant réussi à échapper aux forces de l’ordre, va être recueilli par Marcel sans être tiré d’affaire pour autant. Face à l’opiniâtreté de l’inspecteur Monet (Jean-Pierre Darroussin), bien décidé, en apparence, à user de tous les moyens à sa disposition pour retrouver le jeune réfugié, son protecteur va devoir déployer des trésors d’ingéniosité, et en appeler à la solidarité de gens de peu mais plus encore de bien -égaux en dignité, en tout état de cause.

Ré-enchanter le monde

La nostalgie à l’oeuvre chez Kaurismäki n’est pas seulement décorative, elle renvoie à son approche même de l’existence, et des valeurs qui la sous-tendent -en une forme d’anachronisme essentiel, en quelque sorte, qui n’est certes pas étranger au charme singulier de son cinéma. Ajoutant la distance du conte à celle d’un temps indécis, Le Havre a ainsi pour objet de ré-enchanter un monde dont l’état de délabrement moral n’a certes pas échappé au réalisateur. Une entreprise moins évidente qu’il n’y paraît, dont Kaurismäki s’acquitte avec bonheur, trouvant dans ce film, à l’économie d’expression traduisant une modestie trompeuse en même temps qu’une belle pudeur, les accents d’une formidable (et contagieuse) générosité comme d’une profonde foi en l’homme. Le tout, à la manière de Aki, cependant: entendez qu’il y a ici de nombreux échantillons d’humour absurde, que les comédiens semblent évoluer en décalage contrôlé, que l’on croise, en plus de Jean-Pierre Léaud et Pierre Etaix, une chienne répondant au nom de Laïka, et que si la mélancolie affleure régulièrement, la grâce de même -jusque dans l’apparition, pourtant hautement improbable a priori, de Little Bob, dans son propre rôle de rocker sur le retour. Un havre de bonheur, en somme.

On prend d’ailleurs congé de Marcel Marx, Arletty, Idrissa et l’inspecteur Monet empli d’un sentiment voisin de la félicité. Pas dupe, certes, n’exagérons rien, mais confiant en la possibilité d’une humanité réaffirmée. Au loin s’en vont les nuages? Voire: l’utopie est à portée de main, elle se niche dans ce film miraculeux d’Aki Kaurismäki.

Jean-François Pluijgers

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