Critique

Critique ciné: La Voie de l’ennemi, habité mais trop manichéen

Forest Whitaker dans La Voie de l'ennemi © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Rachid Bouchareb s’inspire de Deux hommes dans la ville, de José Giovanni, pour situer un drame à la frontière américano-mexicaine. Un film habité, mais par trop manichéen.

L’Amérique n’en finit plus d’aimanter les réalisateurs français, puisque après Guillaume Canet, Laurent Cantet ou Arnaud Desplechin, c’est au tour de Rachid Bouchareb d’aller y poser sa caméra. Le réalisateur de Indigènes a choisi la frontière mexicaine pour redéployer l’intrigue de Deux hommes dans la ville, polar réalisé par José Giovanni en 1973, avec la paire Gabin-Delon. C’est donc dans quelque bled du Nouveau-Mexique que l’on découvre Garnett (Forest Whitaker), sortant de 18 ans de prison pour meurtre. Le gaillard s’est racheté une conduite, se convertissant au passage à l’islam, et entend bien commencer une nouvelle vie, avec l’appui d’Emily Smith (Brenda Blethyn), une conseillère en réinsertion. C’est sans compter, toutefois, sur la rancune aveugle du shériff Bill Agati (Harvey Keitel), n’ayant de cesse de voir l’ancien détenu rattrapé par son passé.

La caravane passe

Si le film de Giovanni était un polar doublé d’un plaidoyer contre la peine de mort, Bouchareb a choisi, pour sa part, de recentrer le propos sur le combat d’un homme pour réfréner sa violence et tenter de renouer avec le monde. « L’idée d’un remake m’avait séduit au départ, mais je suis bien vite parti sur autre chose, expliquait-il lors de la dernière Berlinale, où La Voie de l’ennemi était présenté en compétition. Le film de Giovanni m’a donné l’élan, après quoi j’ai voulu tout changer: tourner un remake m’aurait limité, et l’histoire n’aurait de toute façon pas fonctionné en Amérique, où le système judiciaire est différent. » Le réalisateur confiait par ailleurs que l’envie de travailler avec Forest Whitaker avait fait office de déclencheur. Et en effet, l’acteur habite l’écran de son jeu tout en intériorité. « Forest n’a pas besoin de dialogues, ni d’artifices pour jouer. J’aimais sa force intérieure, et je me suis adapté à ce qui m’intéressait en lui. » La Frontière, pour sa part, offre un cadre récurrent à son cinéma: « J’avais déjà réalisé ce film, avec la frontière entre l’Algérie et la France, la Méditerranée, et je voulais le refaire ailleurs. » Et d’argumenter: « Je change de lieu, mais mes idées viennent avec moi. Je ne ferais pas un film totalement américain, ni totalement français, ça ne m’intéresse pas. Je suis un artiste qui fait le tour du monde avec sa caravane: on vit les mêmes choses partout, il n’y a que la langue qui change, mais cela ne pose pas de problème. »

Pour autant, dire que cette greffe américaine a totalement pris serait travestir la vérité. S’il réussissait, dans London River, à appréhender la réalité britannique dans toutes ses nuances, Bouchareb échoue ici à transcender un canevas par trop manichéen. Et si les décors sont superbes, on a aussi l’impression que l’auteur a été écrasé par son désir d’americana, son film ployant sous les clichés…

  • De Rachid Bouchareb. Avec Forest Whitaker, Harvey Keitel, Brenda Blethyn. 1h58. Sortie: 11/06.
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