Asterios Polyp, une bête de concours

On sait peut-être déjà qui remportera le Fauve d’or au prochain festival d’Angoulême : David Mazzucchelli, auteur d’un roman graphique exigeant et surprenant.

Asterios Polyp, de David Mazzucchelli, Editions Pantheon.

David Mazzucchelli était surtout connu pour ses comics de superhéros hardboiled, concoctés avec le maître Frank Miller (Batman: Year One, DareDevil). Voilà que l’Américain, qui publiait ses propres histoires depuis 1991 dans son magazine Rubber Blanket, se lance dans le roman graphique orienté indie. Et réussit d’emblée son défi, puisque cet Asterios Polyp, publié chez Pantheon en juillet dernier, s’avère des plus passionnants. Et passe, excusez du peu, comme l’une des BD de l’année 2009 outre-Atlantique.

Il faut dire qu’il a soigné ce beau volume, autant dans son fond et sa forme que dans sa vie physique, tout en papier recyclé (donc assez fragile). Tout est signifiant, chez Mazzucchelli. Asterios est ce qu’on appelle un « architecte de papier » : il a bâti une brillante carrière en dessinant des bâtiments qui ne seront jamais construits. Belle mise en abyme d’un personnage de BD…

Son nom, Polyp, est la contraction d’un patronyme grec. Ce morceau d’identité perdue évoque ce frère jumeau qui n’est jamais né et qui, pourtant, hante l’architecte. Un « polype » est également une forme de tumeur, d’excroissance. Et Asterios est bien cela : un parasite de la vie, lui qui n’existe que dans la non-réalisation et le discours, lui qui n’est qu’idées sans matière. C’est en se confrontant à la jolie Anna, créatrice – elle – bien implantée dans le monde concret, et à des personnages haut en couleur que sa vie se verra bouleversée et qu’Asterios sera jeté, corps et (peu de) biens, dans un bled paumé de l’Amérique profonde.

Le fantôme de Scott McCloud, la main d’Art Spiegelman

Mazzucchelli ordonne sa page et son style à l’aune de son personnage principal. Tout en composition savante et sinuosités qui se répondent, en inventions narratives et graphiques. Presque trop, d’ailleurs. On a parfois l’impression de feuilleter le fameux Understanding Comics de Scott McCloud, ouvrage théorique sur la bande dessinée présenté sous forme de… bande dessinée. Une virtuosité telle qu’elle parasite parfois le message – à l’image d’Asterios himself, en fait – mais jamais au point de mettre en danger la lecture.

Mise en abyme, à nouveau : c’est comme si Asterios Polyp avait été dessiné et conçu par l’architecte lui-même, résumant sa pensée théorique sur l’art et l’histoire de son existence. Ses interrogations comme ses certitudes. Ses errances présentes autant que son immobilité passée.

On comprend pourquoi les éditeurs francophones se sont battus pour en obtenir les droits. Les enchères auraient ainsi atteint des sommets inespérés pour un graphic novel de ce genre. Le duel final aurait eu lieu entre Delcourt et Casterman, ce dernier emportant le morceau grâce, selon nos sources, à l’intervention d’Art Spiegelman, ami de Mazzucchelli et dont Casterman a publié A l’ombre des tours mortes et Breakdowns, notamment.

La publication chez nous, dans une version inhabituelle pour Casterman et totalement fidèle à l’original – une des exigences de l’auteur – est prévue pour le mois d’août. De quoi placer Asterios Polyp dans les starting-blocks d’Angoulême 2011.

Vincent Degrez

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