Eric-Emmanuel Schmitt retourne derrière la caméra pour Oscar et la Dame Rose, une adaptation de son best-seller de 2002. Focus était présent sur le tournage.

u milieu de nulle part, à la frontière entre la Région bruxelloise et le Brabant flamand, une dame blonde, exagérément permanentée, enfouie dans un épais peignoir et des chaussons aux pieds, sort d’un bâtiment anonyme. A y regarder de plus près, il ne s’agit pas d’une inconnue, mais de Michèle Laroque (qui fête ses vingt ans de cinéma). La tenue peut paraître étrange, mais dehors, il neige abondamment. Autour d’une table de régie, quelques courageux bravent le froid pour venir se servir une tranche de cake ou un jus d’orange. Nous sommes aux studios Monev, sur le tournage d’ Oscar et la Dame Rose.

Les posters de mangas et du groupe BB Brunes accrochés aux murs sont les premiers indices de la présence d’enfants dans les parages. Et soudain, ils surgissent. Parmi eux, une pétillante petite rousse, Mathilde Goffart, l’héroïne de Survivre avec les loups, et un petit gamin aux cheveux rasés hyper dynamique, Amir Ben Abdelmoumen. Il est l’Oscar du titre, atteint d’un cancer. Michèle Laroque est donc sans doute sa Dame Rose.

Le maître d’oeuvre de l’entreprise est un poids lourd: Eric-Emmanuel Schmitt. Deux ans après le succès public d’ Odette Toulemonde, il adapte son best-seller de 2002, qu’il avait déjà porté au théâtre.  » Dans le film, assure-t-il, on aura rendez-vous avec les mêmes émotions. » Des émotions bien propres sur elles diront ses détracteurs. L’action se situe dans un hôpital où une visiteuse va venir en aide à un enfant condamné, amoureux de la petite rousse aperçue tout à l’heure, et qui ne parle plus à personne. Elle lui fait en outre écrire des lettres à Dieu.  » La Dame Rose va inventer ce moyen pour que l’hôpital entier soit au courant de ce que cet enfant ressent. C’est une taupe! Elle confie les lettres au docteur joué par Max Von Sydow et tous les soirs devant la fenêtre d’Oscar, elle les envoie au ciel accrochées à un ballon. A ces occa-sions, on entendra la voix d’Oscar, je ne pouvais pas lâcher ça. » Cette mise en place laisse craindre une trop importante voix off, un film trop « littéraire ». Pourtant, l’auteur-réalisateur considère avoir accompli sa métamorphose de cinéaste et avoir  » troqué l’encre pour la lumière« .

Discret mais précis

 » Pour Odette…, j’avais choisi un sujet léger et je me suis concentré sur la direction d’acteurs, et cela je l’ai réussi, personne ne dira le contraire. Dans ce second film, on rapport au cinéma s’est agrandi, je travaille sur l’éclairage, le cadre… J’ai un rapport d’une force exceptionnelle avec Virginie St-Martin (La Femme de Gilles ), qui est pour moi un des plus grands chefs opérateurs du monde. Notre sensibilité commune se verra à l’écran. Ma véritable conversion au cinéma est passée par elle. »

Dans la scène qui se tourne en ce début d’après-midi, Oscar déclare sa flamme à Betty, encouragé en coulisse par la Dame Rose. L’attitude d’Eric-Emmanuel Schmitt au travail est atypique. Il ne bouge presque pas, ne parle presque pas, ne dit ni « action » ni « coupez ». Son premier assistant semble tout gérer.  » On ne dirige pas les comédiens, on les choisit. Il faut être un bon maqui-gnon, c’est 80 % du travail. Oui, je suis discret sur le plateau, mais les acteurs vous diront que je suis précis. Le travail se fait avant, lors des répétitions et dans l’invisible. »

Lorsqu’Eric-Emmanuel Schmitt vous parle, il est aimable et souriant. Son discours est aussi très bien rodé.  » On ne peut pas mener une vie d’homme sans vie spirituelle. On est habité par les mêmes questions, on traverse le même mystère. Certains avec angoisse, ce sont les athées, d’autres avec confiance, ce sont les croyants. Moi, je fais se rencontrer un enfant qui ne croit pas et une femme qui croit. Elle va redonner à l’enfant le goût du mystère. Il faut se méfier de l’illusion du savoir, se réaboucher avec le mystère est le plus important. »

Entre deux considérations philosophiques qui sont sa marque de fabrique, le tournage continue. La scène sera filmée sous tous les angles, avec d’infimes variations d’échelle de plan, de mise au point… Un maximum de matériel est amoncelé pour le montage, mais le travail va vite et l’am-biance est studieuse. Le film, qui s’annonce plus grave (pas lourd, insiste Schmitt) que son prédécesseur, peut déjà compter sur le soutien des innombrables fans du livre et de la pièce. Lepremier traduit en quarante langues, la seconde jouée à travers le monde, comme aime le rappeler leur créateur, au détour d’une phrase. On a l’impression qu’Eric-Emmanuel Schmitt le super-vendeur se cherche encore une légitimité cinématographique. Il est vrai qu’il a été, comme il dit, escagassé par la critique à la sortie de son premier opus.  » Il y a eu des critiques bien plus mauvaises qu’elles n’auraient dû l’être parce que c’était moi, mais le public était au rendez-vous. Le film est sorti dans une vingtaine de pays et maintenant je suis crédible aux yeux du cinéma, et j’essaie de le mériter. Réaliser un film reste un privilège fragile. »

Texte Matthieu Reynaert

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