Critique | Musique

Ry Cooder – Pull Up Some Dust and Sit Down

ROOTS | Une série de chansons vaches et cahoteuses, musicalement plus proches de la (re)conquête de l’Ouest que l’épopée Blackberry…

Ry Cooder, Pull Up Some Dust and Sit Down, distribué par Warner. ****

Il y a quelques semaines, à l’annonce de possibles interviews avec Monsieur Cooder, le label chargé de l’affaire (Warner) s’assure, à la demande expresse du musicien, que les « candidats » à la rencontre sont suffisamment « informés de la situation politique et économique internationale ». On croit rêver (…) mais Cooder, rendu célèbre par sa BO de Paris, Texas et l’opération Buena Vista Social Club, remplace fissa sa venue physique par des phoners. Ceux-ci étant à l’interview « face to face » ce que la merguez est au contrefilet: plein de morceaux douteux. Exit l’entretien, restent ces 14 titres ébroués dans une sauce authentiquement préhistorique et traversés par un thème actuel -la voracité du système bancaire international pigeonnant le citoyen lambda. Au départ, c’est un peu ingrat, voire rebutant: à quoi sert une ouverture, malgré son titre appétissant (No Banker Left Behind), si elle ressemble à une démo des Pogues un jour de grève des pubs? Probablement à nous donner soif. Parce que Cooder est autant barman que musicien et spéléologue: il adore mettre la main dans la grotte bouseuse des vieux genres, américains de préférence -blues, tex-mex, folk, country, gospel et même rock. Rappelant au passage qu’il joua sur au moins 2 albums essentiels des Stones de la fin sixties.

Poisseux cousin

Ce gérontophile lui-même sexagénaire (1947) réalise, mine de rien, la jonction de sonorités éparses: celles de la sonora mexicaine et du bled irlandais ayant forcément des accointances (El Corrido de Jesse James). Cooder puise dans des musiques sans âge mais est validé par la profondeur des sentiments et des grooves exprimés. Le vecteur le plus signifiant de cette démarche quasi anthropologique est l’utilisation d’un blues premier et rugueux, diversement décliné: le dépouillement minéral de Baby Joined The Army, le gumbo poisseux cousin de Tom Waits (I Want My Crow) ou encore l’hommage viscéral au pionnier (John Lee Hooker For President). A ce moment-ci de l’écoute du disque, on note que plusieurs plages flirtant avec l’innocence supposée des fifties (Dreamer, No Hard Feelings) n’empêchent pas une forme d’ironie contemporaine. C’est patent dans Christmas Time This Year, récit de meurtres aggravés sur une mélodie mexicano-pimpante ou dans Dirty Château, histoire d’une relation minée entre le riche propriétaire et sa bonne… Si la faconde du disque rappelle ses plus savoureux albums seventies, Cooder n’a sans doute jamais écrit de chanson aussi délicieuse que John Lee Hooker For President. Il imagine que le Black President n’est pas Obama mais bien ce vieux diable de Hooker (1917-2001), entouré d’un cabinet de ministres ayant tous prêté allégeance au blues, plus proches du serment de Robert Johnson à un sulfureux « crossroads » que des hedge funds de Goldman Sachs… Ceci résumant un peu l’anti-morale salvatrice du disque.

Philippe Cornet

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