Daft Punk, from disco to disco

Daft Punk © David Black
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après avoir créé le buzz pendant des mois, Daft Punk lâche Random Access Memories, l’album le plus attendu de 2013. Un disque funky, audacieux et gargantuesque.

Enfin. Après plusieurs mois de teasing intensif, le nouveau Daft Punk est arrivé. Le duo français sort cette semaine Random Access Memories. Un quatrième album -si l’on ne compte pas la bande-originale du film Tron: Legacy-, qui déboule… huit ans après Human After All.

Créez la rareté, vous susciterez toujours la curiosité. Depuis l’annonce en début d’année du nouveau disque, les attentes n’ont fait que gonfler. Parfois jusqu’au ridicule. Daft Punk a distillé les indices de son grand retour au compte-gouttes: un visuel énigmatique, une pub laconique de quinze secondes dans l’émission Saturday Night Live… Chez n’importe quel autre groupe, le stratagème aurait rapidement agacé. Avec Daft Punk, il n’a fait que révéler ce qui était dans l’air depuis un moment: Random Access Memories est bien l’album le plus attendu de 2013. Le premier single, Get Lucky, griffé par la guitare de Nile Rodgers (Chic) et miaulé par Pharrell Williams, est ainsi devenu rapidement le carton du moment. Une véritable scie funky -un chercheur australien, spécialisé dans la psychologie auditive, a compté le nombre d’occurrences de l’accroche « we’re up all night to get… »: 64, soit une fois toutes les 3,75 secondes… Un véritable piège pour l’oreille. La preuve: le jour de sa mise en ligne, le morceau a battu tous les records d’écoute sur la plateforme de streaming Spotify…

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We are the robots

Random Access Memories est le premier album que Daft Punk livre à sa nouvelle maison de disque, la major Columbia (sous l’égide Sony). Que les deux Français, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, s’activent désormais pour le compte du label historique américain n’est pas anodin. L’affaire est en effet devenue globale. Si la dance music est aujourd’hui le secteur musical qui croit le plus aux Etats-Unis, c’est en grande partie grâce à Daft Punk.

Rappel des faits. Il y a d’abord le manifeste Homework. En 1997, le duo sort un premier album qui a digéré et filtré la révolution house pour en faire un objet pop capable de se glisser dans les hit-parades. Le visage caché sous un casque, Bangalter et de Homem-Christo revendiquent l’anonymat, raccords avec l’éthique des fondateurs du mouvement techno. Ils vont cependant transformer ce refus de starification en stratégie marketing à part entière. Dès l’album Discovery (2001), les robots apparaissent. Ils constituent toujours aujourd’hui la base de leur identité visuelle. Le gimmick est pratique, universel. Il sert autant à se cacher sur scène qu’à poser dans une publicité pour Gap. Drôle de groupe d’ailleurs que Daft Punk, capable de refuser (une première fois, en 2005) la récompense de Chevaliers des Arts et des Lettres octroyée par le gouvernement français d’un côté, et d’accepter la proposition de dessiner une table pour Habitat de l’autre…

Le binôme revendique volontiers l’entrisme: se glisser dans le mainstream pour mieux le dynamiter de l’intérieur. La stratégie est payante. Régressive, piochant dans la pop FM eighties et dans l’univers manga, la dance façon pop art de Daft Punk change petit à petit la donne. En 2007, le rappeur superstar Kanye West sample Harder, Better, Faster, Stronger, confirmant le nouveau statut des Français dans l’imaginaire pop mondial: désormais, ce sont des robots qui mènent la danse… Dans Global Techno, Jean-Yves Leloup écrit à propos de Discovery: « Ce disque synthétique et insouciant, furieusement pop, aux refrains bubble-gums et robotiques, (…) est symptomatique d’un certain état d’esprit des années 2000. Ce n’est plus une contre-culture d’apparence rebelle qui s’exprime ici, mais plutôt un faisceau post-moderniste de références ludiques et enfantines, dont le partage et la jouissance est réservé aux plus jeunes générations. » (éd. Scali).

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Machines déconnectées

Retour en mai 2013. Dans les couloirs du Botanique, on croise Pedro Winter. Le patron d’Ed Banger est venu fêter les dix ans de son label à Bruxelles. La veille, il a pu écouter Random Access Memories, le nouvel album de ceux dont il a été le manager pendant douze ans. « Ce disque est énorme. Ils ont à nouveau réussi à amener quelque chose de nouveau. » Entre les lignes, on le devine aussi surpris. « J’ai commencé à entendre ce débat: « Ils vont mettre tout le monde d’accord et montrer à toute la scène dance électronique actuelle ce qu’est la vraie musique. » Mais en l’occurrence, ce débat est vain, parce qu’ils sont partis sur autre chose. On n’est plus vraiment dans la musique électronique. »

Pedro Winter a raison. Dans leur lutte acharnée pour rendre les robots plus humains, les Daft Punk ont laissé tomber les machines. Il n’y en a en effet (quasi) aucune sur Random Access Memories. Comme son nom le laissait subtilement entendre, Homework avait été composé à la maison, avec trois fois rien: un ordinateur, un sampler, point à la ligne. Quinze ans plus tard, renversement de situation: pendant plus de deux ans, Daft Punk s’est ruiné en heures de studio, convoquant une liste de pointures impressionnante. Confirmation récente dans l’interview que le duo a donné au Monde: « Ces quinze dernières années, ce qui était le home studio, construit à partir de différents éléments, a été miniaturisé en un ordinateur dans lequel sont modélisés banques de sons et logiciels, constate Bangalter. Aujourd’hui, la majorité de la pop et de l’électro est produite avec cette assistance technologique formatée, accessible à tous. Un magicien peut-il encore faire son tour quand tout le monde connaît son truc? »

Disco demolition

Rangé donc le laptop. Les deux Français ont multiplié les prises, enregistrant dans des gros studios de Paris, New York et Los Angeles. Un véritable retour en arrière, une manière de faire quasi vintage. Comme la musique, à certains égards. Random Access Memories lorgne allègrement du côté des années 70 et 80, entre pop FM ultra léchée (Steely Dan, Doobie Brothers…) et surtout gros relents disco. Ce n’est pas vraiment une surprise. Depuis Discovery, Daft Punk a multiplié les clins d’oeil plus ou moins appuyés vers cette période musicale. Ici, l’hommage-emprunt des deux Français (dont l’un, Thomas Bangalter, n’est autre que le fils de Daniel Vangarde, producteur notamment d’Ottawan et des Gibson Brothers) est explicite. A côté du kéké hip hop Pharrell Williams ou du très « top crédibilité indie » Panda Bear, sont invités l’immense Nile Rodgers et le tout aussi essentiel Giorgio Moroder, auteur des tubes de Donna Summer (I Feel Love…), ou de la B.O. de Midnight Express. Soit deux figures emblématiques d’un courant qui n’a pas toujours eu bonne presse.

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Devenue immensément populaire à la moitié des années 70, la révolution disco a connu ses contre-réformes. Voire la Grande Terreur. Trop décadente, trop festive, trop libérée: en fin de décennie, elle va être clouée au pilori par certains. Parfois littéralement. En juillet 1979, lors du match de base-ball opposant les Detroit Tigers contre les Chicago White Sox, un DJ américain invite les spectateurs à venir brûler leurs 45 Tours disco au milieu du terrain. Le public est hystérique, les ploucs déboulant sur la pelouse, ravis de mettre le feu à cette « musique de pédé ». Trente-cinq ans plus tard, Daft Punk a émis l’idée de lancer officiellement Random Access Memories lors de… la foire agricole annuelle de Wee Waa, en Australie. Une drôle d’idée, ou un pied de nez à l’histoire, c’est selon…

Zeitgeist

A vrai dire, il y aurait une pertinence à ressortir l’idiome disco par les temps qui courent. Né dans le New York dévasté des seventies, il a autant servi d’outil d’émancipation pour les minorités (noires, gay) que d’échappatoire à la crise. Difficile de ne pas faire le parallèle avec l’actualité socio-économique plombée du moment. Quand un morceau aussi « nigaud » que Get Lucky ne met que quelques heures à conquérir la planète entière, on peut y voir une science du tube. Ou encore, plus simplement, le besoin généralisé d’une bonne tamponne, l’envie irrésistible de faire la fête, « simple et funky », dansante et sexy… Gonzales, l’un des « invités » présents sur Random Access Memories, le paraphrase à sa manière: « Je n’aime pas trop les collaborations en général, mais je fais des exceptions pour ceux qui sont vraiment en possession de clés pour saisir le zeitgeist. »

Daft Punk capte-t-il pourtant réellement l’air du temps? Sous ses dehors hédonistes, le disco de Chic par exemple balançait pas mal sur son époque. Repassé trente ans plus tard à la moulinette Daft Punk, l’exercice a beau être brillant, il semble souvent tourner à vide. Comme une énième concession à la rétromania actuelle. En cela, oui, Random Access Memories est bien un disque de 2013, ressassant les références, discours pop sur la pop plutôt que sur le bouillonnement du moment.

Est-il pour autant un album inutile, trop tourné vers le passé pour imaginer un futur? Ce serait oublier son panache et sa fougue. Passés les plans pop FM californienne dégoulinants, Random Access Memories explose de partout. Exemples avec Giorgio by Moroder, et ses neuf minutes ébouriffantes, ou Touch morceau au psychédélisme millefeuille. Daft Punk n’a pas menti sur la marchandise. En se donnant les moyens de sa politique, il a concocté un véritable album, avec tout ce que le format peut avoir d’absorbant, d’audacieux, de « tripant ». Peut-être pas parfait, mais téméraire, libre et surprenant. Peut-être l’un des disques les plus passionnants à écouter cette année. De quoi en tout cas justifier et même dépasser le buzz qu’il avait engendré: qui l’eût cru?

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