Critique | Livres

Deux étrangers

Marie-Danielle Racourt
Marie-Danielle Racourt Journaliste livres

ROMAN | « Quand il a téléphoné il y a trois jours, mon fils aîné a dit: Maman, il y a quelqu’un pour toi au téléphone, et je ne me suis pas doutée un seul instant que ce pouvait être mon père. »

Elise a la trentaine et comme tout parent, elle a projeté ses ambitions manquées sur ses deux fils. Dans son enfance, elle rêvait la disparition de son père, le divorce de ses parents et inconsciemment, c’est ce qu’elle prépare pour Tom et Léo. Car Elise a trop d’amour à rattraper, l’amour inaccessible pour ce père qu’elle vénère autant qu’elle hait. Ce père autoritaire qui n’admet aucun défaut, aucun faux-pas et qui lui a flanqué la vie en l’air. Après sept ans d’absence, le coup de téléphone à la fois appréhendé et tellement souhaité la condamne une nouvelle fois à se soumettre et à obéir à son injonction: venir le rejoindre dans les plus brefs délais à Marrakech où il s’est installé. On ne peut rien contre les pères. Jamais rien. Ils ont la force implacable des éléments. C’est au cours de ce voyage initiatique, dans la vieille Renault 5 laissée en héritage par sa défunte mère, qu’Elise va enfin prendre le temps de poser un jugement lucide sur ce qu’elle est devenue. Surgissent alors des flash-back cadencés sur son enfance torturée par la figure paternelle, l’adolescence révoltée contre l’esprit étriqué du grand homme. « Tuer le père » devient son obsession jusqu’au jour où enfin, ils se croisent.

Emilie Frèche a la sensibilité de la fille broyée par le patriarche, la poésie délicate d’une grande écrivaine et un amour immodéré pour observer, analyser et comprendre les émotions et les déceptions qui déchirent son héroïne. On dévore ce roman magnifique dont on sort empreint d’une grande envie d’aimer et d’être aimé.

ROMAN D’EMILIE FRÈCHE, ÉDITIONS ACTES SUD, 274 PAGES. ****

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