Critique

Binary Domain: we are the robots

Au placard Goldorak et Astroboy: les Hollow Children s’immiscent dans Binary Domain. Un third person shooter convenu mais conté avec talent, entre humanité et lutte des classes.

BINARY DOMAIN, ÉDITÉ ET DÉVELOPPÉ PAR SEGA, ÂGE 18+, DISPONIBLE SUR PLAYSTATION 3 ET XBOX 360. ***

L’homo erectus va-t-il un jour devenir un robot? Où est-ce l’inverse? Contrairement à Deus Ex: Human Revolution, Binary Domain table sur la seconde hypothèse. Créateur adulé de la saga des Yakuza, Toshihiro Nagoshi orchestre cette contre-utopie fascinante plantée à Tokyo en 2080. La montée des eaux due au réchauffement climatique accélère les inégalités sociales. Comme dans Beneath A Steel Sky (1), la démographie urbaine divise la cité en sommets pour nantis et en bas-fonds pour déshérités.

Mais cette mégapole dont les gratte-ciel titanesques et immaculés ont été érigés par des robots humanoïdes bugue plus que de normal. Çà et là, on y croise des Hollow Children, soit des robots trompeusement humains, sang y compris. Inconscients de leur propre condition, ces humanoïdes mécaniques évoquant le jeune héros du A.I. de Spielberg enfreignent la Nouvelle Convention de Genève. L’IRTA, son bras armé, intervient donc en pénétrant incognito en terres nippones pour enquêter sur Amada Corporation, ex-numéro un mondial de la robotique dépassé par les Américains de Bergen.

Vus à travers le prisme des machines, ce clash social et cette quête de la condition humaine ne complexifient pas artificiellement la trame narrative dense du jeu. Celle-ci ponctue habilement les phases ludiques de Binary Domain et ne se gargarise pas comme dans un Final Fantasy XIII-2. « A plusieurs niveaux, on se dirige vers une société de plus en plus binaire, d’où le nom du jeu », note très froidement Toshihiro Nagoshi, son créateur. « Le langage numérique, qui est binaire, occupe une place de plus en plus importante dans notre vie pendant que la différence entre riches et pauvres s’accentue. »

French pan-pan

Sur son gameplay, Binary Domain accuse par contre, à l’image de l’industrie nippone du jeu vidéo, un train de retard. Alors que Yakuza surfait sur la vague des Grand Theft Auto, ce Third Person Shooter suit les traces de Gears Of War. Le résultat n’est jamais à la hauteur de la super production d’Epic Games mais son approche scénaristique est autrement plus finaude et moins manichéenne. Chacun des agents spéciaux composant l’équipe internationale au sein de laquelle le joueur évolue dévoile ainsi une personnalité ciselée poussant à l’empathie.

Le choc des cultures naturellement amené par la team (chinoise, américaine, française et anglaise) sert de prétexte à des répliques savoureuses où doublages anglais et nippons cohabitent. Une approche rare tout comme le profil de Cain, allié robotique et gentleman cow-boy parlant anglais avec un accent français. « So chic, monsieur. »

Fusil en main, on envoie à la casse des automates bigarrés en se planquant derrière toutes sortes d’abris entre murs, caisses et véhicules. Au-delà de ce système de couverture rabâché mille fois ailleurs, Binary Domain tente un soupçon de stratégie en permettant au joueur de donner des ordres à ses coéquipiers pour attaquer, tenir une position ou se couvrir. Mais au final, le seul véritable paramètre tactique concerne ici les game over. Une fois à terre, le jouer ressuscitera en appelant ses compagnons à l’aide… à condition de s’assurer que ceux-ci soient équipés en médikits.

Se pratiquant surtout à l’instinct comme un Super Probotector (2), Binary Domain ignore les lois robotiques d’Isaac Asimov. Shooter des robots tout au long d’un jeu évoque à priori une séance de tir sur boîte de conserve. Mais Nagoshi multiplie les joutes homériques face à des boss géants (au design remarquable), les situations d’urgence et les types de vilains métalliques à taille humaine. « Cette fascination robotique vient de l’après-guerre », conclut Toshihiro Nagoshi. « Le Japon est alors entré subitement dans une ère moderne d’industrialisation qui lui a été bénéfique. Nous avons donc toujours été marqués par la culture du nouveau, dont la robotique fait partie. »

Des robots volants ne s’éliminent donc pas de la même manière que des nuées de petits crabes. Amputés de leurs jambes, les fantassins humanoïdes de base continuent à ramper et à tirer. Gare aux limaces embusquées. Autre gimmick marquant, un headshot ne tue pas l’adversaire mais le retourne contre ses alliés. L’intelligence artificielle des ennemis tourne donc plutôt bien dans Binary Domain. Le jeu vidéo, première forme mainstream de robot intelligent?

(1) POINT & CLICK LÉGENDAIRE DE 1994 DESSINÉ PAR L’AUTEUR BRITANNIQUE DE COMICS DAVE GIBBONS (GREEN LANTERN, WATCHMEN).

(2) SHOOTER 2D SORTI EN 1992 SUR SUPER NINTENDO ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE CONTRA III: THE ALIEN WARS.

Michi-Hiro Tamaï, à Los Angeles

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