Mélanie Thierry rayonne sous les traits de Marie de Mézières, héroïne du dernier film de Bertrand Tavernier, féministe avant l’heure évoluant au c£ur d’un tourbillon de passions dans la France du XVIe siècle.

A son sujet, Bertrand Tavernier, son réalisateur de La princesse de Montpensier, a le trait résolument élogieux: « Mélanie, je la compare aux solistes, Pablo Casals ou Rostropovitch, aux immenses pianistes comme Arturo Benedetti Michelangelo ou Samson François: des gens qui jouent non seulement les notes qui sont écrites, mais aussi celles qui ne sont pas écrites. Ils jouent les silences entre les notes, dont ils arrivent à vous faire comprendre qu’ils appartiennent à l’£uvre. Et Mélanie, elle le fait. » A bientôt 30 ans, l’actrice rayonne, en effet, devant sa caméra, embrassant une gamme d’émotions diverses sous les traits de Marie de Mézières, femme qui, dans la France du XVIe siècle, allait témoigner d’un tempérament peu banal face aux circonstances contraires. Et qui, mariée au prince de Montpensier alors qu’elle se consumait pour le duc de Guise, évoluera bientôt au c£ur d’un tourbillon de passions. « C’est la première fois que je me retrouve à avoir un rôle-titre, dirigé par un des plus grands metteurs en scène français, observe-t-elle avec encore une lueur d’émotion dans le regard, au lendemain de la projection officielle du film à Cannes. Au départ, c’est très euphorisant, et très émouvant, parce que, comme jeune comédienne, on attend toujours le moment d’avoir enfin un vrai beau rôle. Et puis, quand on finit par bien relire le scénario, on réalise la somme de travail qu’il y aura encore à faire… « 

Ne pas mourir idiote

A commencer, dans le cas présent, par apprivoiser la langue, pas nécessairement une mince affaire, s’agissant de celle de Madame de La Fayette. « Je suis une petite banlieusarde (elle est originaire de Saint-Germain-en-Laye, ndlr) et les dialogues de Jean Cosmos m’ont un peu foutu la pétoche au début, relève-t-elle sans fard. Mais c’est merveilleux, des dialogues comme ça, je n’en avais jamais joué de si beaux. Une fois qu’on se l’approprie, et qu’on aime ce langage, cela devient génial à jouer. Cela prend de l’ampleur, cela donne de la grandeur, c’est vraiment beau. » L’autre difficulté aura résidé dans les multiples couleurs d’un personnage dont elle tenait à rendre toutes les nuances, s’assurant, pour ce faire, les services d’un coach. Pour délivrer au final le portrait multiple d’un esprit libre, maintenant dans l’adversité un cap singulier: « A cette époque, les femmes n’avaient pas accès au monde. Marie est une féministe avant l’heure, elle a besoin de vouloir changer sa condition, de ne pas mourir idiote. Je ne suis pas féministe personnellement, mais je trouve courageux de sa part de vouloir faire bouger les choses si tôt… « 

Où leurs trajectoires se rejoignent sans doute, c’est dans un certain anti-conformisme, discrètement revendiqué – « Je ne suis pas le moule, je n’aime pas les moules en général », ne se fait faute de préciser Mélanie Thierry. Ce qu’atteste une filmographie que l’on ne saurait mieux qualifier que d’éclectique, entre Quasimodo del Paris, Babylon A.D. et Le Dernier pour la route -ce dernier, avec un César du meilleur espoir féminin à la clé. L’écouter parler de son parcours conforte du reste dans ce sentiment. Evoque-t-on ainsi son premier film, La Légende du pianiste sur l’océan de Giuseppe Tornatore, en 1997, qu’elle explique, de façon on ne peut plus neutre, l’avoir fait pour sortir de son quotidien: « J’avais 16 ans, et ça me permettait d’avoir quelque chose à raconter, des histoires plus friandes que celles de mes copines à l’école, et ça me permettait d’attirer l’attention sur moi aux dîners de famille. J’ai adoré ce tournage, mais de travail d’actrice, il n’y en a pas eu du tout: j’étais complètement naïve, insouciante, pas passionnée du tout, juste contente de faire ça, parce que ça me paraissait exceptionnel. »

40 films et 400 coups

Le virus de la comédienne, elle le contractera plus tard, sans qu’elle le rattache à une expérience en particulier: « On peut passer 15 fois devant un tableau sans y faire attention, et puis, un jour, s’arrêter et y déceler plein de choses. Pendant des années, j’ai fait ce métier sans rien y comprendre, jusqu’au jour où j’ai commencé à me poser des questions pour réaliser que c’était passionnant, et que cela m’ouvrait…  » Considération qu’elle assortit d’une autre, témoignant d’une modestie non feinte: « Si j’ai mis du temps à y arriver, c’est parce que j’ai mis du temps à être bonne comédienne. Pendant longtemps, je me suis sentie un peu une usurpatrice. »

Une princesse venant s’ajouter à un César, la voilà désormais rassurée, si besoin en était encore, sur ses qualités. Avec, en filigrane, la perspective de voir sa palette de choix s’élargir sensiblement: « J’ai envie d’être fière de chaque tableau de ma vie, avance-t-elle, poursuivant dans la métaphore picturale. Je veux faire des choses qui me plaisent, qui me parlent, qui sont inspirantes et engagées, et de pouvoir me dire: j’ai choisi d’être artiste, ce n’est pas pour rien, ce n’est pas pour faire de la merde, quoi… « , lâche-t-elle, sans même chercher à réprimer sa spontanéité. Naturelle, et sans falbalas. Le genre, par exemple, alors qu’on le croise sur le quai de la gare au lendemain de la première bruxelloise du film de Bertrand Tavernier, à avoir conservé le bouquet de fleurs, fort beau au demeurant, qui lui fut remis pour la circonstance. Et à ne pas prendre congé sans vous faire part de son bonheur d’être du prochain André Téchiné, Terminus des anges. « Je trouve ça génial, c’est une chance. Tavernier, Téchiné, cette génération a une autre façon de travailler: il y a beaucoup plus de direction d’acteurs chez eux que chez les tout jeunes. Ils sont vachement plus proches des acteurs et plus attentifs. Ils ont fait 40 films, ils ont fait les 400 coups, et ils ont gardé ce truc: ils ne sont jamais blasés… »

Entretien Jean-François Pluijgers, à Cannes.

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