« Je trouve hallucinante la qualité sonore qu’on inflige aux gens »

© Flickr/Lilian (CC)
Kevin Dochain
Kevin Dochain Journaliste focusvif.be

Un nouveau système basé sur la psychoacoustique permettrait de « mettre la musique plus fort en club sans souci » et surtout sans déranger les voisins. Révolutionnaire ou fumeux? Nous avons posé la question à un ingénieur du son, Charles De Schutter du studio Rec’N’Roll à Bruxelles.

L’article a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux ces derniers jours. Le magazine Trax, spécialisé dans les musiques électroniques, annonce la création d’un système révolutionnaire, nommé Masn’ Live et développé par le studio madrilène Eternal Midnight, permettant « d’écouter de la musique encore plus fort sans que la qualité n’en pâtisse et surtout sans que les voisins ne voient la différence ». A priori, bluffant. Sauf que les explications techniques fournies par Trax, reposant principalement sur la psychoacoustique, nous semblent, si pas fumeuses, au moins un peu légères. Nous avons demandé des explications à Charles De Schutter, ingénieur du son qui a notamment travaillé avec Matthieu Chedid, Ghinzu, Baloji ou No One Is Innocent.

As-tu entendu parler du système Masn’ Live? Qu’en penses-tu?

J’ai parcouru l’article et je suis très dubitatif, mais curieux de tester le système. Parmi les développements actuels de systèmes son, beaucoup d’innovations sont plus ou moins basées sur la psychoacoustique et donnent des résultats très surprenants… Mais plus pour monsieur tout-le-monde que pour les spécialistes. Pour un ingé son, c’est le désespoir. Un peu comme ces systèmes acoustiques de plus en plus petits qui ont soi-disant le même son que des tout gros. Moyennant une égalisation plus ou moins sauvage et le rajout de subwoofers, on a un résultat qui, pour écouter un disque, est bluffant pour l’auditeur lambda. Mais ça reste de toutes petites boîtes: il n’y a pas de dynamique, ça ne déplace pas d’air.

Quand tu vas écouter un concert avec un système son pareil, rien ne se passe. Tu entends la musique fort, mais tu n’as pas la sensation physique qui va avec. Ce qui était annoncé comme complètement révolutionnaire n’est finalement utilisé que pour des événements de type conférence ou discours: pour des concerts, personne n’en veut.

Dans ce cas-ci, on parle plutôt d’un élément à ajouter au système son, qui « remplacerait les basses fréquences par des empreintes acoustiques dont les fréquences sont perçues par nos oreilles comme des basses ». Qu’y a-t-il derrière ce concept de psychoacoustique?

La psychoacoustique porte bien son nom: ce sont des sensations sonores. Le mastering (dernière étape dans la production d’un morceau, après le mixage, ndlr), par exemple, ça tient de la psychoacoustique. Rapprocher des sons faibles avec des sons qui vont fort, ça donne l’impression d’un ensemble plus fort.

Par contre, il n’est pas possible de générer des ondes fantômes. Ce qui peut être fait, c’est jouer sur des harmoniques ou des phases, ou contrôler le delay qu’il y a entre les subs pour supprimer le plus possible les ondes qui se propagent vers l’extérieur. Comme le son est une onde, il est possible de l’annuler ou de la doubler: en général, on essaie qu’elle se double là où est le public et qu’elle s’atténue un maximum vers l’extérieur. Mais on n’annule jamais vraiment totalement une onde sonore. Le système dont on parle ici est basé sur ce principe: éviter que le son ne sorte d’un enclos. Via un programme qui contrôle les subwoofers séparément, on peut appliquer des réglages qui vont faire que certaines choses s’annulent, mais ça ne peut pas se faire en deux coups de cuiller à pot. Je serais très curieux de pouvoir tester ce système.

D’un autre côté, je trouve hallucinante la qualité sonore qu’on inflige aux gens. Dans certains clubs, il n’y a plus de subs. Il n’y a plus que des haut-parleurs suspendus qui crachent de l’aigu à fond. Les graves viennent de ces baffles mais il n’y a plus vraiment de subs, pour des raisons de voisinage. Cela n’empêche pas les gens de danser, d’écouter la musique très fort et de rentrer chez eux avec les oreilles qui sifflent.

En supprimant les basses, on a moins cette impression de fort, pourtant?

Pas exactement. Le truc intéressant, c’est qu’on parle ici de dB A, qui est une mesure de décibels qui ne tient pas compte du grave. Les dB C, par contre, en tiennent compte. En France, la loi sur les limitations sonores impose un maximum de 105 dB A en moyenne sur 10 minutes. Ça permet d’aller très fort en réalité. Avec 102 à 103 dB A, on arrive à 118-120 sur l’échelle dB C. La grosse astuce que tout le monde a trouvée depuis que les législations sont en place, c’est de gonfler les subs et les infra basses, pour avoir un bas énorme: ça donne une sensation de gros son sans aller fort. On fait un énorme son de grosse caisse, une basse qui fait tout trembler et les gens se disent « ça envoie! » alors qu’on n’est qu’à 100 dBA. C’est le ressenti qui prime.

ERRATUM: Dans une version précédente de cet article, nous avons indiqué à tort que le Fuse n’était pas équipé de subs, ce qui est erronné. Nous nous en excusons.

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