Laurent Raphaël

L’heure est graff

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Est-ce de l’art? Ben oui. Personne n’a jamais dit que pour bénéficier de cette appellation d’origine incontrôlée, il fallait d’office une toile, un cadre, un mur immaculé et des références -quand ce n’est pas des révérences- aux mouvements artistiques qui ont précédé… Cette définition étroite, bourgeoise et policée, que tout le monde renie en public mais qui sert de filtre intime à beaucoup, tient la liberté de l’art en laisse. Liberté d’inventer des formes originales, liberté de contaminer de nouveaux supports…

On l’a oublié à force de couper les branches les plus récalcitrantes de la haie d’honneur, mais la création est rebelle, insoumise, frondeuse. C’est un cri, un émoi, une faille sur le présent avant d’être un marché et un système. A cette aune-là, pas de doute, le graffiti a sa place au rayon frais de la supérette artistique. Ce qui ne veut pas dire que tous ses fruits sont comestibles. Comme dans les autres crèmeries, on trouve plus de noyaux que de joyaux. Si Picasso avait peint Guernica sur le mur de sa chambre, est-ce que la déflagration visuelle aurait été moindre? Absurde. Oui mais la vieille tante qui dessine son chat le dimanche n’impose pas ses portraits félins à tout le monde, nous fera-t-on remarquer. Objection refusée. On subit sans moufeter les kitscheries disséminées dans le métro et sur les ronds-points. Ou pire, ces balafres architecturales qui font ressembler certaines portions de la ville à des cadavres mutilés. On n’exige pas pour autant de ces bâtisseurs fossoyeurs qu’ils aillent caresser la guillotine.

Autre poncif collé à la capuche des street artistes: la pauvreté endémique de leur technique. Là encore, l’attaque ne résiste pas à l’analyse. Certains virtuoses de la bombe ou du pochoir (Blek le rat, Daim…) n’ont rien à envier aux peintres « classiques ». D’autre part, on s’émerveille bien devant les tableaux aborigènes. Pourtant, si la charge émotionnelle est forte, le bagage technique est léger. En apparence du moins. Qu’on aime ou pas l’art urbain, il fait partie des meubles. La méfiance des années 80 a d’ailleurs cédé la place à un certain emballement. Les effets de mode, la starification (JR, Banksy ou Moerman chez nous) sont passés par là. La kermesse médiatique a fait le reste.

Signe que les lignes bougent, le Musée d’Ixelles se branche aujourd’hui sur la prise bruxelloise de ce courant alternatif. Le moment est important. Les pionniers passent le flambeau à une nouvelle génération moins scotchée au bitume… Il y a donc des choses à dire, à raconter, à montrer. Encore faut-il un guide qui tienne la route. Ça tombe bien, Adrien Grimmeau, historien de l’art et commissaire de l’expo, s’est pris au jeu au point de consacrer un livre à la question. Focus ne pouvait passer à côté de ce double événement. Outre un partenariat rondement mené avec le musée, nous avons demandé à 6 cadors de la bombe, du pochoir, du sticker et de l’affiche (Eyes-b, Defo, Muga, Doctor H., Denis Meyers et les Hell’O Monsters) de mettre leur grain de sel dans les dossiers du numéro de Focus de cette semaine. Résultat: un patchwork esthétique peuplé de personnages cartoonesques, de créatures fantastiques et d’ombres carnassières. Bienvenue dans l’ère du néo-graffiti!

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