Laurent Raphaël

La vérité si je mens

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Depuis toujours, le monde est divisé en deux, avec d’un côté les optimistes (et on précise souvent « de nature »), de l’autre les pessimistes (affublés d’un « par principe » confit à l’ironie). Comme si la faculté de toujours voir la vie en rose était innée, accrochée à la patère de l’un ou l’autre gène, alors que la propension à tout repeindre en noir relevait plutôt de l’acquis, de l’expérience, du caractère. Une nuance qui transpire de certains aphorismes du genre « Ce qui découle du pessimisme, c’est la doctrine de l’absurdité de l’existence » (Nietzsche) ou, pêché dans l’autre camp, « L’optimisme vient de Dieu, le pessimisme est dans le cerveau de l’homme » (proverbe soufi).

Un gouffre de la taille du déficit grec sépare les deux clans. Qui font d’ailleurs des étincelles verbales au moindre contact rapproché. Mettez autour d’une table un ardent défenseur de la positive attitude et un revenu-de-tout patenté et il ne faudra pas cinq minutes pour qu’ils se lancent des amabilités. Au gré des hoquets de l’Histoire, ce sont tantôt les uns, tantôt les autres qui ont dicté l’humeur du moment. Ce n’est pas céder au lobby des grincheux que d’affirmer que les Cassandre ont aujourd’hui le vent (mauvais) en poupe. Pour paraphraser Jean Rostand, on peut être optimiste quant à l’avenir du pessimisme… La bronchite carabinée de l’économie, la sclérose en plaques du Japon et les boutons de fièvre sur la lèvre inférieure du bassin méditerranéen ont eu raison de l’immunité des enthousiastes les plus robustes.

Même si certains font de la résistance. Un site, www.tousoptimistes.com, entend ainsi appuyer là où ça fait du bien. Un acte plus symbolique qu’autre chose. Qui revient à poser un sparadrap sur une plaie béante. Et ce n’est pas les journaux télé du soir, macédoine indigeste de faits divers et de catastrophes sociales, qui vont remplumer les rangs dégarnis des plus-belle-la-vie. Le moral est touché-coulé.

Un coup de mou qui fait paradoxalement les affaires des écrivains, cinéastes, chorégraphes, peintres ou musiciens. Les artistes ont un petit côté vautour. Ils attendent que la bête vacille pour se jeter dessus. C’est injuste mais c’est ainsi: le bonheur sans nuages, c’est rarement excitant. D’une exposition à Lille sur la paranoïa (qui interroge la guerre comme l’obsession sécuritaire) à un festival d’art numérique sur le même thème en banlieue parisienne (Exit à Créteil) en passant par l’essentiel de la production littéraire (les Mitch Cullin, les Patrick McGrath, les Frederick Exley, les Jo Nesbo ne font pas dans la dentelle sentimentale), les symptômes du malaise ambiant exsudent par tous les pores culturels.

De là à accuser ces rabat-joie de souffler sur les braises… Pas si vite! C’est oublier que la fiction panse plus qu’elle ne blesse. Après un JT, on reste seul avec son mal de tête, irradié par une trop forte dose de réel. Après The Fighter, après Biutiful, après Rabbit Hole qui nous en ont fait baver, on ressort plus humain. Le trop-plein d’amertume a été lavé à grandes eaux émotionnelles. C’est ce qu’on appelle soigner le mal par le mal…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content