Critique | Livres

Chantal Thomas – L’échange des princesses

Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ROMAN | Chantal Thomas dresse les portraits en miroir de deux princesses perdues dans le XVIIIe siècle. Une débâcle annoncée sous lustre étincelant.

Chantal Thomas - L'échange des princesses

C’était un pan de l’Histoire suffisamment dédaigné pour que la fiction s’en empare, et l’historienne Chantal Thomas y a donc laissé infuser son nouveau projet romanesque. En 1721, le Régent de France Philippe d’Orléans propose à Philippe V d’Espagne une traite inédite: marier Louis XV, douze ans, avec la toute jeune infante d’Espagne, Anna Maria Victoria de Bourbon, quatre ans. Dans le même temps, il offre de donner sa propre fille, Mlle de Montpensier, douze ans, comme épouse à don Luis, futur roi d’Espagne. L’échange est parfait, impeccablement symétrique, qui promet de pacifier les relations entre les nations longtemps ennemies, et se conclut par le chassé-croisé princier, mis en scène en grandes pompes à la frontière des royaumes. Après Les Adieux à la reine (porté à l’écran par Benoît Jacquot en 2012) ou le Testament d’Olympe qui regardaient vers le même siècle, le dernier Chantal Thomas est l’occasion d’un nouvelle percée dix-huitièmiste, et de portraits féminins en miroir -ceux de deux enfances artificiellement greffées en terres étrangères. Mlle de Montpensier d’une part, diablesse pré-adolescente hirsute et sauvageonne –« la débâcle incarnée. Une débâcle furieuse » que don Luis, jeune impuissant monomaniaquement épris de chasse, ne parviendra jamais à déflorer (une suite d’épisodes tragi-comiques réjouissants). Et Anna Maria Victoria de l’autre, petite Espagnole « toute rose et éperdue » devenue l’infante-reine de France à quatre ans, minuscule princesse pastel qui « éclate d’amour » pour son prince Louis XV et fait gazouiller ses poupées et danser ses boîtes à poudre dans l’arrogance des palais. Dans son sillage, Chantal Thomas transforme Versailles en véritable bonbonnière, excellant à souligner la part magique et sucrée d’enfance au beau milieu de l’étiquette et des mauvais esprits -la cour au XVIIIe restant cette « barbarie à sourires polis ».

Marie-Antoinette

A un travail d’archiviste solide (reproduction de billets et lettres intimes totalement inédits, de pères à fils, de reines à princesses, étonnamment prosaïques et touchants), et à une succession de faits soigneusement compilés, de Madrid à Paris, de 1721 à 1725, la romancière ajoute sa part de fantaisie, captant dans une succession de phrases courtes et d’images déconcertantes les contours dorés d’un monde en soi. Mille et un détails d’un décorum palpable qui n’en soulignent que plus dramatiquement le fiasco annoncé -les petites princesses, à nouveau unies, fatalement cette fois, dans la déchéance. Il y a du Sofia Coppola dans cette revisite teintée d’irrévérence joyeuse, dans cette épopée spleenesque en chambres de luxe, dans ce regard ironique d’aujourd’hui sur l’ennui cotonneux d’hier. L’évidence tragique en plus: si l’Histoire de la royauté française est définitivement romanesque, c’est que la décadence s’y reproduit de générations en générations avec une fascinante régularité -en notes de fin de roman, Chantal Thomas rappelle ainsi qu’Anna Maria Victoria deviendra un jour la marraine de Marie-Antoinette. Et là, tout est dit.

  • L’échange des princesses de Chantal Thomas, éditions du Seuil, 348 pages.

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