Serge Coosemans

24 Stunden Party People

Serge Coosemans Chroniqueur

À la lecture du récent Der Klang der Familie, bouquin retraçant les années folles de la techno berlinoise, Serge Coosemans y a trouvé quelques rapports avec la sous-culture belge de la fête. Sortie de route, S03E11.

Les très estimables éditions Allia ont sorti le mois dernier la version française de Der Klang der Familie, un recueil d’entretiens publié en Allemagne en 2012 et ayant pour thème Berlin et sa techno. Des années 80 jusqu’en 1996, époque charnière où la musique électronique percuta le mainstream, on y suit une poignée d’intervenants ayant pleinement vécu l’arrivée de l’ecstasy et la Chute du Mur, l’ouverture de boîtes mythiques comme le Tresor et l’E-Werk ou encore les débuts de la Love Parade et des soirées itinérantes Mayday, entreprises plus commerciales qui allaient transformer une utopie radicalement underground en véritables kermesses populaires.

Der Klang der Familie n’est pas un bouquin foncièrement bien écrit, ni sans doute très bien traduit. Il abuse d’anglicismes inutiles et d’argot de vieux jeune comme on peut en lire en parcourant Vice Magazine. Pour la plupart extrêmement prétentieux et naïfs (à Berlin, on appelle cela « romantique », paraît-il), les interviewés ont souvent gardé une vision immature des choses vécues dans leur jeunesse et mythifient des soirées et des lieux comme un gamin le ferait de sa première virée à Plopsaland. Il n’en demeure pas moins que ce bouquin s’impose comme primordial pour qui s’intéresse à la techno et à la sous-culture de la fête. J’ose même avancer qu’il est sans doute l’un des plus intéressants dossiers sur le sujet, avec l’Electrochoc de David Brun-Lambert et Laurent Garnier, le film 24 Hour Party People et le documentaire The Sound of Belgium.

Pour un Belge qui a bien vécu les nineties électroniques, l’approche berlinoise de la techno s’avère toucher une corde particulièrement sensible et évoque une expérience toute familière, ce qui n’est, à vrai dire, guère étonnant. En Angleterre et en France, la techno fut assez vite fliquée, notamment considérée comme une culture d’insoumis par Thatcher. En Belgique et à Berlin, de la part des autorités, existaient davantage à son égard incompréhension et inintérêt, donc aussi laisser-faire et permissivité. Belges et Berlinois ont un rapport à la fête et aux drogues basé sur le « toujours plus » et le marathon de dancefloors y est permis par des horaires de boîtes et de bars impensables dans les pays voisins. Tout comme les Allemands qui ont ouvert et fréquenté le Trésor, en Flandre, au Fuse et dans les free-parties, on s’est aussi très vite reconnus dans la radicalité, dans la « pureté » de Detroit, cette musique d’Underground Resistance, Blake Baxter, Jeff Mills et Juan Atkins. On a même partagé certaines tares, le trip « toujours plus dur, toujours plus fort » allié à une certaine culture de la défonce nous ayant ici comme là-bas noyé dans l’horreur pure: musique inaudible (hardcore, quasi gabber…), prétention underground, auto-indulgence, retour de la coke, du speed, des ambiances sombres et de la grosse paranoïa qui va avec…

Der Klange der Familie ne fait pas l’impasse sur les carabistouilles camées, les rivalités stupides entre deejays, les arnaques minables. Il ose même démonter quelques réputations à priori intouchables, Jeff Mills et Derrick May ne sortant pas vraiment grandis de quelques juteuses anecdotes de coulisses. La dramaturgie du bouquin aboutit finalement au même constat que ce que racontent les autres témoignages d’époque. Pour les gamins de 1990 tombés dedans, ce fut un choc non seulement musical et esthétique mais aussi social et moral. Ils pensaient vivre une révolution, elle n’eut pas lieu, trop vite noyée dans le commerce et les flirts poussés avec la pop. Devenus quadras ou quinquas, la plupart des protagonistes sont aujourd’hui recyclés dans l’establishment culturel dont ils s’estimaient jadis une alternative.

La techno berlinoise est quant à elle carrément devenue un moteur touristique, n’ayant plus grand-chose de contre ou de sous-culturel. Il y a toutefois quelque-chose que la techno a changé à jamais, pour un mieux, selon un intervenant du bouquin. Jadis, l’Allemand était en effet souvent vu à l’étranger comme un descendant de nazi. Aujourd’hui, la caricature le représente plutôt comme un type dont le hobby principal consiste à danser torse nu en pantalon militaire rapiécé sur de l’électro affreuse une fois par an sur le Ku’damm. Merci qui? Tous ceux qui parlent dans le bouquin, dont les idées folles et irresponsables ont transformé la culture fêtarde. Là-bas, ici et aussi ailleurs.

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