Dix ans après Rosie, la cinéaste gantoise signe un Niemand non moins personnel, et affirme sa dignité d’artiste.

Affirmer de Niemand, le second long métrage de Patrice Toye, qu’il était impatiemment attendu, relève de l’euphémisme. Voici pratiquement dix ans jour pour jour, en effet, que Rosie révélait la cinéaste gantoise, imposant à la fois un regard et une personnalité. Le film devait faire le tour des festivals et connaître une distribution internationale dans la foulée, mais de son successeur, nulle trace.  » Plusieurs raisons à cela, explique aujourd’hui Patrice Toye. Je suis devenue maman et je tenais à être avec mes enfants lorsqu’ils étaient tout petits. Mais je dois aussi avouer avoir été gagnée par le trac: le succès de Rosie m’a rendue fort incertaine. »

De scénarios avortés en projets problématiques, l’histoire allait, un temps, repasser les plats – jusqu’au jour où la route de la cinéaste croise celle du scénariste norvégien Bjorn Olaf Johannessen.  » Nous nous sommes rencontrés lors d’un atelier pour professionnels où nous nous sentions un peu comme deux outlaws. Cet atelier s’appliquait en effet plutôt à des films conventionnels, ce qui ne correspondait en rien à ce que nous voulions faire. C’est là qu’il m’a parlé de l’idée d’un homme voulant s’échapper pour essayer de s’oublier soi-même et son passé, processus dont il devient alors victime. » Entre les deux auteurs débute alors un processus en forme de ping-pong créatif –  » Si tu joues à deux, la balle peut revenir d’un côté imprévu, des portes s’ouvrent, et cela m’a aidée à oser quelque chose de nouveau. »

Crise existentielle

Niemand ( lire notre critique en page 30) parle donc de Tomas, un homme à l’orée de la quarantaine, traversant une importante crise existentielle.  » J’en suis aussi à une étape de ma vie où je sens que les options diminuent, observe la cinéaste. On fait des choix dans sa vie et, à un moment, on se demande si c’est vraiment ce que l’on veut. En tant que réalisatrice, je peux m’échapper dans le cinéma. Sinon, je ne sais pas si j’irais aussi loin que le personnage de mon histoire, mais cela m’attire: l’inconnu attire toujours, sauf si l’on s’endort. »

L’inconnu, il prendra pour Tomas la forme d’un paradis tropical supposé, pour lequel il abandonne femme et confort matériel, se retrouvant tel Robinson sur son île.  » Nous n’avons pas choisi Waomoni au hasard, poursuit Patrice Toye . Les habitants ne veulent pas y voir de touristes, ils sont très pauvres et tirent leurs seuls revenus du commerce du sable, qui est le plus beau du monde. Ils le vendent, en conséquence de quoi leur île diminue et est en train de disparaître – l’île disparaît, comme son rêve s’estompe, et jusqu’à sa personnalité même. »

Contours qui, ajoutés à une mise en scène idoine, ne manquent pas d’évoquer le cinéma d’un Antonioni:  » C’est une influence majeure, sans vouloir me comparer au maître, son cinéma reste tellement novateur. Le fait qu’une grande partie de la production soit désormais formatée ne me pose pas de problème, mais je veux avoir ma dignité. Un artiste doit avoir celle de ne pas trop se répéter. Il faut essayer, bouger, au risque de tomber sur son nez. La seule façon d’apprendre et de devenir plus riche, est de garder les yeux ouverts. »

Profession de foi dont Niemand apporte la démonstration éloquente. Puisse son successeur ne pas se faire attendre dix ans…

Jean-François Pluijgers

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