La parution d’un « nouvel » album de Jimi Hendrix, Valleys Of Neptune, nous replonge dans une saga mêlant coups fourrés sur l’héritage, blues létal et opération de marketing sans failles apparentes. Décryptage d’une sortie posthume.

Même sous le glacial crachin de février, ce quartier de Notting Hill a du chien, comme si l’ADN de l’histoire visitait régulièrement ses combles. Les longues enfilades de résidences victoriennes blanches semblent coulées dans le ciment dont on fait les Empires. Il y a 40 ans, l’endroit était plus décati mais déjà hip: Jagger y tourne le rôle d’une pop star chimique dans le fantomatique Performance de Nicolas Roeg . Aujourd’hui, vu le montant astronomique des loyers, Notting Hill est réservé aux apprentis millionnaires. L’Américain Jimi Hendrix, arrivé en prodige inconnu à Londres le 24 septembre 1966, y meurt superstar cosmique 4 ans plus tard, le 18 septembre 1970, dans le sous-sol du 22 Landsdowne Crescent. C’est là qu’habite sa petite amie, Monika Dannemann. En 2010, aux sonnettes ou ailleurs, nulle trace hendrixienne, ni fleurs, ni couronnes. Même pas l’une de ces fameuses plaques bleues qui parsèment Londres en honorant ses glorieux enfants. Le bâtiment est occupé par une délégation consulaire turque. Drôle d’endroit pour entrer dans le mythe. Overdose accidentelle après ingestion de vin rouge et de 9 pilules de somnifère Vesparax: c’est la thèse officielle de la mort d’un jeune homme de 27 ans. Un guitariste sur lequel des générations de superlatifs défilent depuis 40 ans. Génie solaire mort étouffé dans son vomi ou, selon des rumeurs récentes, assassiné par son second manager, Mike Jeffery, à la poursuite d’une juteuse assurance-vie (1). Comme dans un polar angelo ou toute disparition brutale de rock star d’envergure (Brian Jones, Kurt Cobain, Jim Morrison), les thèses de meurtre se ramassent à la pelle. Dans le cas d’Hendrix, les rééditions également.

 » Je ne crois pas un instant à la thèse du meurtre, pour moi, c’était un décès accidentel », clame Eddie Kramer, en promo à Bruxelles pour ce Valleys Of Neptune (cf. encadré) qu’il a sauvé des catacombes. Ce sexagénaire habillé en milord, un poil arrogant, a été l’ingénieur et producteur d’Hendrix, notamment sur le premier album posthume, The Cry Of Love, sorti dès mars 1971. Ses réponses sont aussi repassées que ses plis de pantalon: aux questions sur la quantité d’archives hendrixiennes existantes et leur localisation, même approximative, Kramer répond par un définitif:  » Je ne suis pas autorisé à vous le dire. » Entendez: contractuellement. Il précise quand même que pour un morceau, il était commun qu’Hendrix fasse  » 40 ou 50 prises, toutes enregistrées bien sûr ». L’héritage de Jimi, 8 millions de dollars de revenus en 2009 (2), est un business, pas une assemblée de missionnaires. Kramer est intimement lié à la Experience Hendrix, fondation qui gère le legs musical du flamboyant guitariste. La patronne de Kramer, c’est Janie Hendrix: la belle-fille adoptive (et blanche) d’Al Hendrix, père de Jimi, décédé en 2002. Al et la mère de Jimi étaient 2 pochetrons élevant à grande peine leurs gosses, dans le Central District, coin déshérité de Seattle. Jimi a grandi sans argent mais avec, paraît-il, de l’amour. Son seul lien biologique, son frère Leon, s’est fait débouter de tout droit sur le juteux héritage à la suite d’un procès en 2004. Janie, 49 ans, épaulée par l’argent de Sony -distributeur discographique de Jimi…-, a remporté les multiples actions judiciaires l’opposant à la fratrie biologique alors qu’au fond, elle n’est qu’une étrangère. Leon ayant, il est vrai, le désavantage manifeste d’être un ancien crack addict et un voyou de petite envergure. Adoptée par Al en 1968, Janie n’a vu son futur pactole qu’une paire de fois avant sa mort.

Cadavres dans le placard

Avec Kramer et John McDermott -hendrixonologue réputé-, Janie est d’ailleurs créditée comme « productrice » du « nouveau » disque. Tout cela fait beaucoup de guillemets, non? Qu’aurait pensé Hendrix des 50 et quelques rééditions -dont des dizaines de live- sorties à titre posthume depuis 1970 alors qu’il n’a produit que 3 albums studios de son vivant? Enjeu commercial, Hendrix était aussi un fantasme racial, courtisé par les Black Panthers et autres radicaux noirs, lui reprochant de jouer avec 2 blancs, les Anglais Mitch Mitchell (batterie) et Noel Redding (basse). Contre quelques donations, les militants en chaleur d’une fin de décennie brûlante (ségrégation, Vietnam, meurtres politiques à répétition) auraient pu comprendre mais Jimi, de descendance également amérindienne, a décliné de verser sa dîme à la cause.  » Je ne crois pas à ces histoires de tension raciale qui auraient été la cause de la mésentente entre Jimi et Noel Redding. » Kramer croit surtout à sa propre version de l’histoire de Jimi. Et il n’y a plus grand monde pour le contredire: Redding et Mitchell sont morts, la petite amie Monika Dannemann également, Chas Chandler et Mike Jeffery, les managers, aussi, tout comme Buddy Miles, le batteur black recruté vers la fin. Reste le bassiste Billy Cox, qui fera la dernière ligne droite avec Jimi: ils s’étaient rencontrés à la 101e Division de l’Armée de l’air US en 1961. En ce mois de mars 2010, Cox participe à l’ Experience Hendrix Tour qui donne une vingtaine de concerts aux Etats-Unis et il ne fera aucun commentaire sur la mort de Jimi ou la fondation de Janie. Le cadavre est -depuis longtemps- refroidi mais la caisse enregistreuse semble, elle, en pleine forme. Selon Kramer, une anthologie d’Hendrix devrait encore paraître en 2010.

(1) thèse défendue par l’ex-road manager d’Hendrix, James Wright, dans un livre paru en 2009. Un gang payé par le manager aurait forcé Hendrix à ingurgiter de grandes quantités de vin et de somnifères.

(2) l’héritage des droits d’Hendrix est le cinquième en importance derrière ceux de Presley, Lennon, George Harrison et Bob Marley.

Texte Philippe Cornet

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