Laurent Raphaël

Faut pas s’géner…

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

En trifouillant dans le slip génétique de Ben Laden, aurait-on trouvé une succession de gènes tout ratatinés le prédestinant à virer bad boy? La question peut faire sourire. Elle n’est pourtant pas si déconnectée de la réalité. La preuve, le seul moyen de s’assurer qu’il n’y a pas erreur sur la personne, c’est d’interroger l’ADN du barbu, et de le comparer à celui de ses proches. Mais à côté de ce qui nous attend, l’identification génétiquement assistée, c’est de la gnognotte, du pipi de chat judiciaire qui n’épate même plus les amateurs de séries policières façon Cold Case ou Les experts.

Car après s’être fait les dents sur la partie émergée de l’iceberg héréditaire, la science s’attaque à ce qui se passe sous la surface. Une autre paire de manches quand on sait qu’un individu trimballe 21.000 gènes qui sont autant de HLM abritant des familles nombreuses d’ADN. Ça en fait du monde… C’est dans cette botte de foin chromosomique que se cachent les épingles précieuses capables de prédire des trucs aussi incroyables que le risque de développer un cancer de l’estomac ou de basculer dans le puits de la dépression. Mieux que n’importe quelle boule de cristal!

Rien que d’imaginer les lendemains de cette révolution scientifique, pour le meilleur (traitement de maladies jusqu’ici incurables, prophylaxie sur mesure…) et pour le pire (ségrégation génétique et eugénisme en quête du surhomme notamment), ça donne le vertige. Si Dieu existe, il doit forcément se gratter la tête. Car instinctivement, on sent bien qu’on s’aventure aux frontières de notre aire de jeu. Un mélange d’excitation et de nausée barbouille l’esprit.

Un sujet pareil ne pouvait échapper à la fiction. Depuis Jules Verne, les romanciers font régulièrement les poches des scientifiques. Songeons aux Pensées secrètes de David Lodge, irrésistible dérive d’un spécialiste des sciences cognitives et d’une romancière qui apprennent à leurs dépens que la conscience résiste à l’idée, déterministe pour l’un, romantique pour l’autre, qu’ils s’en font. Certains écrivains, comme Lewis Carroll ou Michel Houellebecq, ont d’ailleurs un bagage scientifique. Avec l’accélération des innovations, le flirt tourne à la cohabitation. On ne compte ainsi plus les films qui s’amusent à nous faire peur, de La mouche à Slice en passant par Hulk.

Mais celui qui porte aujourd’hui le fer des questions éthiques et philosophiques dans la plaie du mysticisme génétique naissant, c’est l’Américain Richard Powers. Dans Générosité, le génial auteur de La chambre aux échos met en scène une jeune femme qui a tiré le gros lot à la loterie du bonheur. Objet de convoitise et de fantasmes, aussi bien de la part de ses amis névrosés que d’un scientifique bien décidé à toiletter le patrimoine génétique de l’humanité, cette Berbère devient malgré elle l’argument de vente des tenants de la félicité sur ordonnance. Avec intelligence et lyrisme, Powers dénonce les apprentis sorciers et brise le miroir aux alouettes scientistes. Un roman puissant, brodé de questions existentielles, qui sonne comme un avertissement.

Car si seulement une poignée de « privilégiés » se sont fait tirer le portrait génomique à ce jour, dont Richard Powers lui-même!, nous devrions être des millions dans moins d’une décennie quand le séquençage se pratiquera à la chaîne. Profitons vite des quelques années d’insouciance qu’il nous reste…

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