Paul McCartney: « Soit on joue, soit on meurt »

Paul McCartney © REUTERS/David Moir
FocusVif.be Rédaction en ligne

À 71 ans, l’ex-Beatle revient avec un album, New, au titre tout sauf usurpé. Il nous dit son insatiable « quête de nouveauté » et se livre sur son histoire, Lennon, Hendrix, les Stones… Paul aujourd’hui et « yesterday ».

Londres. Le rendez-vous est fixé à 13 heures, à l’Edition Hotel, près d’Oxford Street. D’abord, écouter les consignes de la protection rapprochée –« Pas de photos, pas d’autographes, pas de questions sur son passé… Pas de cadeaux… » Ensuite, attendre dans une pièce. Paul McCartney, 71 ans, cheveux longs coupe Abbey Road, veste noire à col Mao et chemise blanche, entre avec, en fond musical, son nouveau disque, New (Universal). Après 47 albums -avec les Beatles, les Wings et en solo- et plus de 500 chansons, « Macca » livre 14 titres de sa plume. Détonnants.

Rock ombrageux, ballades folk, mélodies funky, brit pop… Guitares saturées, distorsions, riffs de basse menaçants… Mais aussi des chansons beatlesiennes, fraîches, pleines d’élan et d’une extraordinaire complexité. L’artiste est au sommet de sa forme. Avant cet entretien, on imaginait sir Paul distant et blasé, « faisant le job ». Les yeux dans les yeux, McCartney replonge dans son passé, révèle ses démons et sort abasourdi de cette rencontre lorsqu’on lui apprend que Jimi Hendrix voulait enregistrer avec lui…

Vous n’aviez pas écrit de chansons depuis sept ans, et vous livrez un album truffé de surprises: de nouveaux registres de voix, des styles musicaux très divers… 14 titres, sur lesquels vous jouez de 18 instruments. Comment ce projet est-il né?

Je voulais me lancer un nouveau défi. Je n’arrivais plus à écrire: mon passé et mon nom étaient trop encombrants. Mais je me posais éternellement cette question: suis-je encore capable d’écrire une chanson comme Eleanor Rigby? J’ai 71 ans, huit petits-enfants, et on m’a souvent reproché, même à l’époque des Beatles, de ne pas vouloir grandir. Il est vrai que, pour la musique, j’ai toujours 17 ans! J’ai composé cet album de façon très spontanée, avec des chansons qui n’avaient rien à voir les unes avec les autres. Ce principe m’a d’abord effrayé, puis j’ai réalisé que la plupart des disques des Beatles étaient aussi décousus: Blackbird, Piggies ou Helter Skelter, qui sont sur l’Album blanc, ont des atmosphères très différentes. Et ça marche, parce qu’elles reflètent les Beatles. Idem pour New: chaque morceau est une poupée russe qui contient plusieurs structures musicales. Dans cette quête de nouveauté, mon passé m’a finalement rattrapé. Beaucoup de titres ont d’ailleurs été composés dans mon studio du Sussex, où je garde tous les instruments, les micros et autres traces de cinquante ans de carrière. Un vrai foutoir!

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Les paroles de la ballade On My Way to Work plongent dans une Angleterre ouvrière, humaine, touchante… Etes-vous nostalgique de cette époque?

Je l’ai composée à la guitare en pensant à John et moi à Liverpool. A ces moments banals et intenses: les longs trajets en bus jusqu’à Penny Lane, les discussions sur nos coups de coeur musicaux, nos engueulades, les heures passées chez des petits disquaires à découvrir la musique venue d’Amérique. John et moi étions des rêveurs. Nous aspirions à une vie différente de celle qui nous était destinée: finir dans une usine ou conduire un bus. Personne ne pourra jamais prendre la place de John, personne ne pourra me balancer autant d’horreurs et de vérités que lui. Et, d’ailleurs, je ne l’accepterais pas.

Votre ton sur Early Days est plutôt énervé. En évoquant les Beatles, vous chantez: « Tout le monde a son opinion sur qui a fait ci ou ça / Mais je ne vois pas comment ils pourraient se souvenir de ce qui s’est passé dans des endroits où ils n’étaient pas ». Qu’est-ce qui vous a le plus contrarié dans tout ce qui a été raconté?

Je ne suis pas obsédé par tout cela, mais il est vrai que j’ai été agacé. Notamment par des textes qui donnaient les prétendues « formules secrètes » des Beatles… Si seulement je pouvais les connaître moi-même! Ou parfois par des détails ridicules. Dans le film Nowhere Boy [sur John Lennon ado et les premiers pas des Beatles], il y a une scène où John me met KO d’un coup de poing. Ça n’est jamais arrivé! ­Autre exemple: on voit John, désespéré par la mort de sa mère, écrire In Spite of All the Danger. C’est une chanson que j’ai composée avec George [Harrison]! Ce qui m’exaspère aussi, c’est de voir que l’on a fait de John une légende après son assassinat. Il n’avait pas besoin d’une fin tragique pour être un héros, il l’était déjà. Sur Early Days, je chante, comme un apaisement, que personne ne pourra jamais me voler notre histoire.

A quoi ressembleraient les Beatles en 2013?

On aimait écouter les artistes du moment. C’est ce que nous ferions aujourd’hui. Sans forcément nous inspirer de Katy Perry… On ferait des trucs dans le genre de Kings of Leon, Dylan, Neil Young… Plutôt acoustique et rock. On serait attirés aussi par des gens comme Jay-Z et Kanye West. J’aime la poésie urbaine du hip-hop.

Etes-vous en compétition avec les artistes de votre génération comme les Rolling Stones ou David Bowie?

Je serai toujours en compétition avec les Stones. Ils sont formidables. Je les suis depuis le début. J’ai dû les voir en concert une centaine de fois, comme ­récemment à New York. Keith [Richards] et Ronnie [Wood] on joué merveilleusement bien… David Bowie, lui, est un monument national. Aucun de nous n’a le choix: soit on joue, soit on meurt.

Sur plusieurs des titres de New, aussi dansants que sombres, vous faites passer des messages comme: « Saisissez votre chance » , « On peut choisir notre vie, mais c’est sans garantie » ou « Faites quelque chose de bien avant de dire adieu »…

J’ai voulu être honnête et raconter que la vie peut être douloureuse. Dans cet album, je parle de mes fragilités, de mes failles. Je m’appelle Paul McCartney, et j’ai peur, comme tout le monde. Dans Scared, je chante « J’ai peur de dire je t’aime. » Il m’est difficile d’exprimer mes sentiments. Les femmes, elles, s’écrivent des choses très intimes, alors que les mecs ne font pas ce genre de trucs en Angleterre! Quand Nancy, mon épouse, a rencontré Michelle Obama, elle s’est écriée: « Oooh! Vous êtes si belle! » Et moi, j’étais devant le président en train de m’imaginer lui dire: « Hey, ­Barack, je kiffe ton costume! Tu l’as acheté où, mon pote? »

Quelles sont vos autres peurs ?

Je suis un peu parano… J’adorerais travailler avec Thom Yorke (Radiohead) et Damon Albarn (Blur, Gorillaz), et ma fille Stella n’arrête pas de me dire d’ap­peler Thom pour lui proposer un projet. Je l’imagine me répondant: « Euh… Désolé, mais je suis ­occupé. » Il y a eu des ­ru­meurs comme quoi ­Dylan et moi serions en train d’écrire des chansons. Ce n’était pas le cas, et pourtant j’en rêve. Mais voilà… Je n’ai rien fait pour que ça se passe. Et Prince, pareil: je voudrais tellement jouer avec lui. S’ils m’entendent…

Dernière question, posée par Elvis Costello, avec qui vous avez travaillé: « Tu nous vois en retraités? »

Je pourrais arrêter d’enregistrer les disques, mais jamais d’être sur scène. C’est là que je me sens vivant. Et puis on a des moments tellement forts, de poésie et d’introspection, comme lorsque je compose assis sur mes toilettes. Tu pourrais t’en passer, toi?

Par Paola Genone (L’Express)

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