Critique | Livres

Kongo

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ROMAN GRAPHIQUE | Tom Tirabosco illustre le voyage de Joseph Conrad au Congo, fondateur de son mythique Au coeur des Ténèbres. Transposition étouffante, donc magistrale.

ROMAN GRAPHIQUE DE TOM TIRABOSCO ET CHRISTIAN PERRISSIN, ÉDITIONS FUTUROPOLIS, 176 PAGES. *****

« Le plus vide des espaces vides de la surface figurée de la terre. » Ainsi parlait Joseph Conrad, Jozef Konrad Korzeniowski de son vrai nom polonais, en se remémorant l’idée qu’il se faisait du Congo avant d’y débarquer, en 1890. Un commandant en mal de bateau et de long cours, acceptant un contrat de trois années en Afrique, pour diriger un vapeur d’eau douce sur le fleuve Congo. Le Roi des Belges. Konrad tiendra huit mois, en reviendra avec une dépression longue de neuf ans, au bout de laquelle il deviendra Joseph Conrad et écrira Un avant-poste du progrès d’abord, Au coeur des Ténèbres ensuite. Un roman brûlot sur la réalité du colonialisme en Afrique, mais aussi une oeuvre métaphorique d’une rare puissance, devenue mythique, sur la barbarie de l’homme. S’il faut avant tout lire ce chef-d’oeuvre, on ne compte plus les adaptations et autres transpositions de ce Heart of Darkness. Ciné, livres, BD… Même le jeu vidéo s’en est inspiré. Il manquait pourtant à ce tableau déjà fourni le récit de ce voyage fondateur au Congo: Konrad s’y enfonce lentement dans la jungle en même temps que dans la folie. Son Kurtz à lui s’appelait Van der Heyden.

Ambiance étouffante, tension permanente, violence contenue, chaleur, fièvre, moiteur. La sauvagerie des lieux et des sentiments qui s’y expriment. L’horreur de l’économie de marché dans les colonies africaines. Le Suisse Tom Tirabosco aura travaillé près de trois ans sur ce scénario de Christian Perrissin, nourri du carnet de voyage et de la correspondance de Konrad. Et le résultat est, on aime à le redire, colossal. 165 planches denses, anxiogènes, au trait gras, charbonneux, étouffant comme son récit, radical comme le propos. « J’en sors moi-même un peu épuisé! nous a expliqué l’auteur. Je travaille sur base de monotypes, des transferts de dessin que j’encre au rouleau, retravaillé ensuite au pastel blanc. Ça donne des effets de profondeur, une trame aléatoire… J’aime plonger le lecteur dans un jus d’images, donner un côté amniotique à l’ensemble. » Kongo s’affirme d’ores et déjà comme un des grands albums de l’année. Et vient alimenter un mythe qui n’est pas près de s’éteindre.

AU COEUR DES ADAPTATIONS

Apocalypse Now: La plus fameuse, qui ne citait pourtant pas sa source. Coppola déménage le contexte de Conrad au Vietnam. Palme d’Or et film énorme.

Au coeur des Ténèbres, le film: Adaptation la plus fidèle, réalisée pour la télé britannique en 1994, avec un casting de rêve: Tim Roth y est Charles Marlow, Malkovich incarne Kurtz. Jusqu’à la caricature, pire que Brando.

Au coeur des Ténèbres, le film du film: Le tournage de Apocalypse Now fut plus proche encore de l’ambiance du roman que son propos: Brando pète un câble, Martin Sheen fait une crise cardiaque, tout le monde se défonce… Le making of réalisé par l’épouse de Coppola est un chef-d’oeuvre du genre.

Coeur des Ténèbres, la BD: Jean-Philippe Stassen, grand spécialiste des ambiances africaines, s’est frotté à Conrad en 1996. Rencontre quasi inévitable, basée sur l’illustration et le commentaire.

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