BSF: Patti Smith, entre mythe et recyclage

Patti Smith et son guitariste Lenny Kaye. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, mais Patti Smith, si.

Patti est chiante. Exigeant que les photographes campent pour les deux morceaux octroyés sur les côtés du frontstage -interdiction de dépasser la ligne jaune ou de changer de secteur…- et donc ne l’immortalisent pas de face. Peut-être à cause de ce regard un rien dyslexique qui avec l’âge et le bonnet laineux à la Pearl Jam, lui donnent l’air de la tante originale qui récite, surtout à jeun, des vers surréalistes en fin de repas. Capricieuse, elle l’a toujours été, même quand elle s’imaginait en Rimbaud androgyne du Lower East Side, fauchée et tricotant ses poèmes voulus hallucinés avec Robert Mapplethorpe. Tirant donc, si l’on peut dire, doublement le diable par la queue. Quarante et quelques années plus tard, la chanteuse américaine a dépassé l’âge légal de la retraite -elle est née en 1946- mais néglige celle-ci pour honorer des concerts principalement en Europe où son étoile a toujours eu, davantage qu’à domicile, l’aura d’artiste vénérée. Deux jours après un passage aux Lokerse Feesten, la voilà face à une Place des Palais gavée de monde, dans ce Bruxelles découvert en 1976, comme elle le rappelle en intro de Ghost Dance, puis à l’un ou l’autre moment d’une heure et quart de musique qui refuse de séparer le mythe du recyclage, le grain de l’ivresse, la jeunesse génétique du cours bossu de la vie. Because The Night est dédié à Fred Sonic Smith, autre amour-phare de Patti, mort précocement après avoir allumé une (vraie) légende rock américaine, celle du MC5. 98% du public -très 7 à 77 ans- n’a pas plus d’idée sur l’identité de cet autre Smith que de la discographie précise de Patti. Ballotté par la constante bipolarité entre les évidents reliefs de gloire et l’inégale saveur électrique qui traverse les morceaux. On décroche à certains moments et on observe alors les visages des spectateurs, détaché de la bande son qui ressemble du coup à un lointain juke-box gazeux. Et puis on y revient en plein, peut-être parce que Lenny Kaye -le fidèle Rantanplan- a remis cinq euros dans la guitare et en tire ces sarabandes barbelées qui réinventent le 220 volts, comme une ombre décalée de 1975. Une douzaine de titres, dont Redondo Beach, Banga, l’inévitable Gloria des boums punks, mènent au final agréablement cru de Rock’n’Roll Nigger. Une flamme passe. C’était mon premier concert de Patti en 34 ans et sans aucun doute le dernier.

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