Le Dogg a encore faim

Après la sortie de son 11e album solo, Doggumentary, nous avons pu rencontrer, en exclusivité, l’un des cadors du rap américain. Snoop Dogg, yeux dans les yeux. Ou presque.

Quatre journalistes dans un van, Doggumentary dans le poste. What else? Amsterdam à l’horizon, rendez-vous fixé à 15h. Ca sent le traquenard, mais bon. Snoop, c’est Snoop, un parrain, un cador, un hip-hopotame. L’habitacle résonne, les baffles assurent un flot suave, un rap canin manufacturé sans trop d’artifice, une impression de doigté et de sincérité, malgré la routine des albums successifs, malgré les featuring empilés comme des factures. Doggumentary a de la gueule, vraiment. Sauf le Wet cannibalisé en Sweat par l’affreux Guetta), vraiment. Ca, ça donne envie de se jeter sur le frein à main et d’enchaîner les tête-à-queue sur l’autoroute. Pour en finir au plus vite. Faudra lui dire, à Snoop, que son côté putassier l’honore à moitié. La todo list est prête d’ailleurs, ou quasi. Tant mieux, parce qu’on arrive à l’hôtel, un machin pas spécialement tape-à-l’oeil, plutôt une trappe à businessmen. 13h30, déjeuner entre gratte-papiers et gratte-micros, rien de transcendant à se dire, des anecdotes bilingues. L’attente commence. « Pas de question sur Ben Laden ou l’actualité politique américaine », nous ordonne l’attachée de presse. Une requête d’autant plus raisonnable que l’avis du Snoop sur le barbu à trous, on s’en tamponne négligemment le coquillard.

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On nous annonce la bête à 15h. Puis à 15h30. Vers 16h, ça démarre enfin. Pour la télé flamande du moins. 16h30, des poussières, alléluia, grimpette à l’étage, le 6e, entièrement loué par le complice à Dre. Pour un siècle encore, les murs du couloir sentiront la beuh. Chouette odeur, pas de souci, mais comme on se l’imaginait, Snoop à Amsterdam, c’est Alice au pays des merveilles (licites). Son garde du corps, c’est pas un garde du corps. C’est un garde des corps, un chien de berger, le géant de Johan et Pirlouit, un homo sapiens Wash & Go, 2 êtres humains en un. Et la voix de Don Corleone. L’insulter et mourir. Mais l’attente se poursuit. Avant le sésame, qui s’ouvre, enfin. Chassé-croisé de journaleux, Snoop salue le confrère de P Magazine et ça y est, on va pouvoir lui réciter le questions-réponses de l’année. Sauf qu’à peine entre-aperçu, le Dogg file dans la suite attenante, laissant seulement quelques cendres herbacées sur un magazine d’hôtel. Et l’attente recommence, seul dans une chambre, avec vue imprenable sur les chantiers d’Amsterdam. Dix minutes, puis 20. Puis 30. Et ainsi de suite. Légèrement entrouverte, la porte de la suite laisse heureusement échapper quelques sons, histoire d’adoucir une solitude de plus en plus amère. Au programme: l’instru d’I know what you want, de Busta Rhymes et Mariah Carey, en boucle, façon menu de DVD. Puis un freestyle gratis prodeo de Snoop, des coups de téléphone, une interrogation agacée ( « Qu’est-ce qu’il me reste à faire? » « Juste un mec à côté, puis les Allemands et les Hollandais. »), des joutes PlayStation, l’improbable résonnance de J’ai la haine, par Gad Elmaleh et Dieudonné. Une heure. Une heure et demie. L’attaché de presse déboule, il est 18h30: « Je crois qu’il ne va pas le faire. Il est complètement stone et il ne veut plus faire d’interviews. Vous pourrez utilisez ce que P Magazine a reçu, si ça vous va. » Dans J’ai la haine, entre-entendu un peu plus tôt, Gad y va d’un « regarde les nerfs qui sortent de ma tête » particulièrement de circonstance. Pétage de plomb.

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Retour dans le couloir où Snoop déboule, veste en cuir, lunettes noires et bonnet Kodak, celui d’on a volé nos couleurs. Visiblement énervé le bonhomme, long comme un fil de pêche, des espèces de boucles d’oreilles mystérieuses plaquées aux tresses. Plan B, pas d’interview solo, un roundup à plusieurs, avec des Allemands et des Hollandais tout aussi énervés. Retour dans la chambre d’interview. « Il va le faire », assure l’attachée de presse, des gouttes sur la tempe. A côté, ça continue à jouer à la PS: « Common’ Kobe », entend-on, en plein small talking de patience. Et là, ça parle Ben Laden, Afghanistan et tout. Pfff. Toujours rien. Puis enfin, 19h40, les yeux collés aux lacets, monsieur Who am I fait son apparition, aussitôt poussé à l’accolade par un confrère hollandais, complètement obsédé par la collaboration Snoop-Bootsy Collins sur Doggumentary. Faudra imposer ses questions, en 15 minutes. Pas évident. Exemple: « 21 chansons sur l’album, ça veut dire que Snoop a encore faim, qu’il a encore plein de choses à exprimer? » Réponse téléguidée, la tête dans le sol: « J’ai voulu me sentir jeune à nouveau. C’est un état d’esprit, l’envie de faire un album au sujet duquel je me sente bien, au niveau des chansons, des concepts, de la production. J’ai suivi le mouvement en studio, et il en est ressorti 21 chansons. » Question suivante. Sur ses featurings. « Quand je t’admire, j’essaye d’entrer en contact avec toi et de travailler avec toi. » Et ainsi de suite. Bof, pilote automatique.

Accouplement sonore

Faut se battre pour attirer son attention. Alors on sort la carte David Guetta, après des tentatives relativement avortées sur le thème du frat pack hip-hopiste, cette génération en or du rap américain, les 1968-1972 qui, de Snoop à Timbaland, en passant par Jay-Z, Eminem, Missy Elliot, Busta Rhymes et quelques autres légendes ont transformé le hip-hop en pop. Rien, ou presque.

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Par contre, sur le playmobil française de la house, ça vient. Sur la version vieille Europe de l’album, Guetta sort la bouillie habituelle. « La musique, c’est la musique. Ici, en Europe, vous faites des sons qui dépassent parfois de loin ce qu’on fait aux Etats-Unis. C’est pour ça que tant d’Américains viennent emprunter vos styles, avec la techno notamment (Qui est pourtant… américaine d’origine, NDLR). Parfois, le hip-hop ne marche plus, alors il aller vers la techno pour que les choses fonctionnent. » D’où l’accouplement sonore avec Guetta? En pleine réponse, Dogg darde finalement son regard batracien dans le nôtre. Là, ça fait bizarre. « Oui. David Guetta, en réalité, a entendu ma chanson Wet. Et m’a dit qu’il voulait la remixer. Quand j’ai entendu le remix, je me suis qu’il était vraiment fort, c’est pour ça que j’ai préféré que cette version apparaisse sur l’album européen, et pas la version d’origine. Parce que j’ai compris ce que le marché réclamait, et cette version est plus connectée avec les attentes des gens. Je me suis dit que cette version irait directement au sommet. Et voilà, on y est, on est numéro 1 en Australie, en Allemagne, ici aussi. » Vérification: « Vous l’aimez vraiment, cette chanson? » Confirmation: « Je l’adore! » Perplexité: « Vraiment? Quand on entend l’album, on se dit qu’il est cool, smooth et classe. Puis en tombant sur le remix de David Guetta, on se dit que Snoop a encore besoin d’argent et de popularité. C’est juste pour le public européen? » Confession: « C’est exactement ce à quoi cette chanson est destinée. Je ne jouerais jamais cette chanson aux Etats-Unis, parce que ça a été fait pour mon public européen. C’est un hit instantané, c’est un son qui coule dans ses veines. Au fil du temps, tu tournes partout avec tes chansons, et qu’elles marchent, tu te dis parfois: les gars, je vais vous donner un truc qui va vous montrer ma gratitude et mon amour. Je suis une montagne russe dans mes concerts, je monte, je descends. Tu devrais venir voir un de mes shows un jour. » Si tu arrives à l’heure un jour, pourquoi pas…

Guy Verstraeten

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