Laurent Raphaël

Crash mémoire

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Vous aussi vous avez des dizaines de noms qui restent chaque jour collés sur le bout de la langue? Bienvenue au club!

L’édito de Laurent Raphaël

Vous aussi vous avez des dizaines de noms qui restent chaque jour collés sur le bout de la langue? Bienvenue au club! Comment s’appelle encore le réalisateur de Carancho, ce super thriller argentin dans lequel un avocat véreux s’enrichit sur le dos de victimes de la route? Pablo quelque chose. Et cette Française d’origine vietnamienne qui a gagné le Prix Première de la RTBF la semaine dernière, c’est quoi encore son patronyme? Son roman est publié chez Viviane Hamy, mais impossible de remettre un nom dessus… Il a dû glisser comme d’autres dans les trous de la passoire.

D’après les médecins, tant qu’on « oublie pas qu’on oublie », y a pas de quoi craindre la visite impromptue de l’oncle Al. La mémoire a ses limites -qui dépendent en bonne partie de l’intérêt que l’on porte au sujet- que la raison a parfois du mal à accepter. Il faut dire que l’enjeu est de taille: socialement et professionnellement, celui qui est équipé d’origine d’une mémoire d’éléphant part avec une longueur d’avance. Qu’il puisse dégainer au quart de tour la liste de tous ses contacts ou énumérer sans trembler le casting complet du Velvet Underground le fera passer pour: primo, fiable; secundo, intelligent; et tertio, redoutable au Trivial Poursuit. Alors que l’individu qui a la mémoire qui flanche à tout bout de champ se verra collé inconsciemment dans le dos un placard grand comme une pochette de 33 Tours avec les mots: brouillon, imprécis, voire ignorant. Et ce même si la plasticité de son cerveau lui permet par ailleurs d’en remontrer aux singes savants en matière de créativité ou d’échafaudage conceptuel.

Difficile de savoir si nos ancêtres avaient une meilleure capacité de stockage que nous mais ce qui est sûr, c’est qu’ils n’avaient pas à se coltiner autant d’informations. Coulant à flots du Web, de la télé, de la radio ou des journaux, elles inondent l’espace. Du coup, la tentation est grande d’externaliser purement et simplement la mémoire. Google et ses nombreuses déclinaisons thématiques (IMDB pour le cinéma, Wikipédia pour à peu près tout) sont ainsi devenus des antisèches numériques que l’on trimballe partout sur soi. A notre décharge aussi, la mondialisation, économique et donc culturelle, nous met de plus en plus en contact avec des noms à coucher un Occidental dehors. A part quelques cinéphiles coriaces, qui ne s’est pas emmêlé les pinceaux quand il a fallu remettre la main sur le réalisateur de Old Boy, The Chaser ou Poetry? Entre Bong Joon-ho, Na Hong-jin et Park Chan-wook, il y de quoi en perdre son coréen.

Pas besoin d’aller chercher si loin d’ailleurs pour voir ses capacités cognitives transpirer sur le grill. Même si celui-là on ne risque pas de l’oublier, Kiss the Anus of a Black Cat fait partie de ces noms de groupes récents qui mobilisent une part démesurée de nos ressources. La mode musicale étant aux appellations improbables et sémantiquement glissantes, du genre The Jean Paul Sartre Experience, le disque dur affiche régulièrement complet. Quand il n’est pas carrément HS. Pour conclure, on citera pour se rassurer, mais pas de mémoire, ce proverbe chinois de circonstance: « L’encre la plus pâle vaut mieux que la meilleure mémoire. »

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