Michael Douglas: « J’imitais déjà Liberace sur le plateau de Traffic »

Behind the Candelabra - Michael Douglas © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Michael Douglas brille de mille feux en grande folle vieillissante dans Behind the Candelabra, réjouissante love story seventies où l’évocation de la personnalité bigger than life du scintillant Liberace se double de la non moins spectaculaire renaissance d’un acteur hors norme.

C’est ce qu’on appelle le rôle d’une vie. Sauf qu’il en a déjà accroché quelques-uns à son tableau de chasse personnel en quelque cinq décennies de carrière. Dans Behind the Candelabra, le dernier film du désormais retraité Steven Soderbergh, Michael Douglas incarne le flamboyant Liberace, superstar absolue du music-hall dans les années 50. Une espèce de pré-Richard Clayderman mégalo et campy, Casanova du piano capable de jouer 3000 notes à la minute (!) et ayant fait du candélabre posé à même l’instrument sa marque de fabrique.

A 69 ans, Douglas n’est pas moins virtuose dans la peau de cette icône bling-bling avant l’heure, père des outrances scéniques chères à Lady Gaga mort du sida en 1987, la renaissance spectaculaire de l’acteur prenant pour cadre, kitschissime, le récit d’une singulière love story vécue par un Liberace en fin de parcours, à la charnière des années 70 et 80…

Il paraît que vous aviez l’habitude d’imiter Liberace avant que Steven Soderbergh ne vous propose de faire ce film…

Pas exactement. En fait, nous étions occupés à tourner ensemble le film Traffic, en 1999. Un jour, sur le plateau, Steven me fixe pensivement, et me demande: « Tu n’as jamais songé que tu pourrais jouer Liberace? » En bon acteur parano, je me suis dit que je me déplaçais sans doute de manière trop affectée pour un film qui parle de drogue (sourire). Mais non, aujourd’hui encore Steven ne sait pas exactement pourquoi cette idée lui a traversé l’esprit. Toujours est-il que c’est devenu une blague entre nous sur le tournage, où j’ai commencé à imiter Liberace pour le fun. Steven est devenu peu à peu fasciné par le personnage mais c’est seulement en 2006 qu’il est tombé sur le livre de Scott Thorson (joué par Matt Damon dans le film, ndlr), Behind the Candelabra, dans lequel il raconte son histoire d’amour, à la fin des années 70, avec un Liberace vieillissant, alors qu’il était lui-même à peine sorti de l’adolescence. Richard LaGravenese a commencé à travailler sur le scénario un an plus tard. C’est en 2010, quand je luttais contre le cancer, à un moment de mon existence où j’étais en droit de ne rien espérer si ce n’est continuer à vivre, que j’ai reçu ce cadeau tombé du ciel: un formidable scénario, et la perspective d’être à nouveau dirigé par un cinéaste de talent tout en donnant la réplique à Matt Damon. Je leur en serai éternellement reconnaissant. Parce que Steven et Matt m’ont attendu. J’étais trop diminué, alors ils ont été jusqu’à inventer des projets bidons qu’ils devaient soi-disant mener à bien afin de repousser celui-ci.

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Le grand public n’a pas imaginé un seul instant, de son vivant, que Liberace puisse être gay. Ça semble complètement incroyable aujourd’hui…

Au début des années 50, il avait sa propre émission télévisée, The Liberace Show. Comme le film le rappelle, il a été à l’époque le tout premier à multiplier les regards face caméra, de telle sorte que chaque téléspectateur avait le sentiment qu’il s’adressait directement, et personnellement, à lui. Il semblait prendre tellement de plaisir que les gens étaient enclins à considérer toute cette attitude théâtrale et efféminée comme partie intégrante du show. Il n’a jamais essayé de camoufler son amour démesuré pour les bijoux et les costumes over the top, mais il était tellement positif… Tous les gens qui l’ont connu, et que j’ai rencontrés au moment de la préparation du rôle, en parlent comme de quelqu’un de singulièrement généreux, drôle, amoureux des belles choses. Il dégageait cette incroyable « joie de vivre » (en français dans le texte, ndlr). Mais il pouvait également être très procédurier, il était prêt à poursuivre le premier journaliste glissant la moindre allusion à son hypothétique homosexualité, ce qu’il ne s’est d’ailleurs pas privé de faire à l’occasion.

Vous-même, vous l’avez rencontré?

Je l’ai rencontré un jour, brièvement, quand j’étais encore jeune. J’étais allé rendre visite à mon père à Palm Springs. Nous étions tous les deux en voiture, et la Rolls-Royce convertible d’un homme est arrivée en sens inverse, le toit ouvert. Ils se sont arrêtés pour parler. Moi j’observais, et j’ai remarqué que pas un seul cheveu ne bougeait sur la tête de ce mec bardé d’or et de bijoux -il portait bien entendu une perruque. Le soleil couchant éclairait son visage, et il avait ce sourire incroyable, il était si gracieux qu’il rayonnait. Quand il est parti, j’ai immédiatement demandé à mon père: « Mais qui donc est ce type? » C’était Liberace.

Ce rôle de grande folle exubérante et capricieuse se situe aux antipodes de ces personnages de mâles hétéros persécutés par les femmes tels que vous en jouiez à la charnière des années 80 et 90, notamment dans ce que l’on considère comme votre trilogie érotique: Fatal Attraction, Basic Instinct et Disclosure

Je pense que quand un acteur atteint un certain degré de succès, deux voies s’ouvrent à lui. Soit il se conforme à son image et ne tente rien qui pourrait un tant soit peu la bousculer, confortant le public dans ses représentations et ses attentes. Soit il en profite pour prendre des risques, essayer des choses très différentes. Le plus beau compliment qu’on m’ait jamais fait est le suivant: « Quand je vois votre nom au générique d’un film, je ne sais jamais à quoi m’attendre, mais je sais que ça va être bien. » J’aime surprendre, être là où l’on ne m’attend pas forcément.

Matt Damon et Michael Douglas
Matt Damon et Michael Douglas© DR

Comment avez-vous abordé les scènes plus « intimes » que vous partagez avec Matt Damon?

Liberace était un homme très actif, sexuellement parlant. Il aimait les jeunes minets, beaux et blonds comme les blés. Dès le moment où il rencontre Scott, on perçoit la tension sexuelle qu’il y a entre eux: c’est le début d’une love story intense, même si elle dérivera au fil du temps vers une sorte de relation père-fils étrange, avec les pilules et les opérations de chirurgie esthétique que Liberace lui impose pour qu’il lui ressemble. Avec Steven et Matt, on n’avait pas besoin de beaucoup discuter. Le scénario était assez explicite, il n’y avait pas à tourner autour du pot. Le premier baiser entre Matt et moi a largement contribué à briser la glace. Pour avoir tourné un paquet de scènes d’amour durant ma carrière, je sais comment encourager mes partenaires à se sentir à l’aise dans ces moments. Mais il faut dire que Matt a été particulièrement génial à ce niveau. Par exemple, quand on tournait cette scène où il sort de la piscine dans son petit Speedo, ce n’était pas dans le script mais tout à coup il me lance: « Je vais venir t’en planter une grosse bien profond. » Et moi: « Ok, super. » Mais il ne s’attendait pas à ce que je lui attrape les fesses de cette façon à ce moment. C’est le genre de choses qui libèrent pour la suite… Il était à mourir de rire. Comme il portait ce mini-maillot dans le film, il tenait absolument à avoir cette marque de bronzage à la brésilienne pour les scènes où il apparaîtrait nu. A la fin d’une séquence où on tournait dans le jacuzzi, il s’est empressé de sortir de l’eau et tout ce qui l’intéressait de savoir, c’était: « Tu as vu mon cul? On voyait la marque? » Et moi, bien obligé de répondre: « Oui Matt, on l’a vue, ta marque. Elle est vraiment super. »

Les rumeurs disent que Behind the Candelabra était trop gay pour les producteurs hollywoodiens, qui n’en voulaient pas. Finalement, c’est la chaîne câblée HBO qui s’y est collée…

C’est possible en effet que certains producteurs hollywoodiens aient pensé que le film ne parlerait qu’à un public homosexuel, de niche, mais je pense surtout que les studios aujourd’hui ne croient tout simplement pas au talent, et sont peu intéressés par les projets de modeste envergure commerciale. Ils préfèrent dépenser leur énergie sur des gros blockbusters, et tout le budget marketing qui va avec. Il n’empêche que cela reste interpellant, en effet, qu’un projet auquel sont attachés des gens comme Jerry Weintraub, Steven Soderbergh, Matt Damon ou moi-même, avec un scénario aussi solide, puisse ne pas trouver de financement aujourd’hui à Hollywood. En ce sens, le fait d’être sélectionnés à Cannes cette année a été particulièrement réjouissant. Thierry Frémaux, le délégué général du festival, a en quelque sorte envoyé un message, la présence d’un téléfilm en compétition sur la Croisette se justifiant par la qualité croissante des productions télévisées, et le fait qu’une oeuvre comme Behind the Candelabra contribue à abolir les frontières entre petit et grand écran.

Pour autant, il ne sortira jamais en salles aux Etats-Unis, et vous ne serez pas en lice pour les Oscars…

Oui, mais il sort en salles en Europe, ce qui est très significatif pour nous. Et si nous ne pouvons effectivement pas concourir pour les Oscars, nous avons décroché quinze nominations aux Emmys, un bel exploit vu le niveau actuel de la fiction télévisée américaine. Trois de ces quinze nominations reviennent directement à Steven, puisqu’il est à la fois le réalisateur, le chef opérateur et le monteur du film. Il a fait un boulot dingue sur Behind the Candelabra. A la fin de chaque journée de tournage, après avoir enlevé nos prothèses, pris un bain et mangé, on avait un message de Steven sur nos iPads, qui nous envoyait déjà non seulement les rushes mais aussi le montage des scènes du jour! Donc nous pouvions au fur et à mesure suivre le film en train de se faire, et bien sûr adapter notre jeu en fonction des images visionnées. Je ne devrais peut-être pas vous dire ça mais il se trouve qu’on a terminé le tournage un vendredi et que trois jours après, le lundi, la première mouture du film était déjà prête.

Après Traffic et Haywire, Behind the Candelabra est votre troisième film avec Steven Soderbergh. Et sans doute le dernier, puisque celui-ci a annoncé qu’il prenait sa retraite en tant que réalisateur…

Oui. J’ai toujours été un peu jaloux de la relation privilégiée qui unissait Steven Spielberg à Harrison Ford, Martin Scorsese à Robert De Niro. C’est quelque chose que je n’ai pas connu durant ma carrière. Et je me rends compte aujourd’hui que ce lien fort dont j’ai toujours rêvé, je l’ai développé avec lui… juste au moment où il décide d’arrêter le cinéma. Mais, je ne manquerai jamais une occasion de lui demander son avis, des conseils. Vous savez, entre ses projets pour la télévision et le théâtre, son planning est déjà plein pour les trois prochaines années…

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