Festivals d’été: la loi du marché

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

De Dour au Pukkelpop en passant par le Micro, plusieurs centaines de festivals rien qu’en Belgique s’apprêtent à rythmer l’été. Mais qu’en est-il de la concurrence dans ce gargantuesque marché festif et lucratif?

Les programmateurs des grands rassemblements musicaux de l’été se mènent-ils des luttes fratricides et s’assènent-ils en coulisses de vilains coups bas? Les tourneurs et les artistes profitent-ils de la concurrence pour doper leurs cachets? L’avènement d’événements en pays émergents parfois très lourdement sponsorisés et leurs tarifs imbattables (le OFF à Katowice, en Pologne, coûte 55 euros les trois jours camping compris) a-t-il bousculé les habitudes du marché? La prolifération des festivals en Belgique, en Europe et dans le reste du monde, suscite de nombreuses questions sur la concurrence qui sévit dans un milieu où la musique se mêle souvent au bruit des tiroirs-caisses.

Cette concurrence joue déjà sur le calendrier de l’été. Dour, par exemple, commence d’office deux semaines après Werchter qui lui se déroule le premier week-end comprenant un jour de juillet. « Beaucoup de spectateurs participent aux deux. Et démonter sa tente le lundi pour la replanter deux ou trois jours plus tard serait sans doute au-dessus des forces de certains », note Alex Stevens, programmateur du plus grand événement touristique en Wallonie. Tout le monde ne se calque pas cependant sur les dates du mastodonte brabançon, le gros bébé goinfre d’Herman Schueremans. Les Francofolies par exemple répondent à un autre agenda. Elles comprennent le 21 juillet, jour de fête nationale. Si cette année, les Francos feront face à Dour, ce ne sera plus le cas du Rock Herk. « En Belgique, il n’y a pas grand-chose en même temps que nous. Et si nous tombons le même week-end que le Melt en Allemagne, le Paléo en Suisse et les Vieilles Charrues en France, il s’agit moins de concurrents que de partenaires, reprend Stevens. Les alliés internationaux sont très importants pour attirer les artistes dans ton coin sur ton week-end. Eviter qu’ils passent cette période en Angleterre ou ailleurs. Voire purement et simplement déterminer le sens de leur tournée. »

Le Hellfest, à Clisson, en Loire-Atlantique, suivi de près chez nous par le Graspop, à Dessel, cause par exemple quelques soucis à Dour en matière de metal et de rock lourd. « Tous ces groupes viennent fin juin et sont déjà repartis pour la mi-juillet. J’ai moins de problèmes sur le hip hop et l’électro. »

Fabrice Lamproye, le programmateur des Ardentes, confirme. « La difficulté, ce sont les festivals qui détournent les artistes du chemin de la Belgique. Les pays de l’Est, la Scandinavie, le sud de la France avec l’Italie et l’Espagne aussi. Je ne sais pas vraiment qui sont mes concurrents. Ce que j’entends partout, c’est qu’avec la crise, les gens doivent faire des choix. Choix qui seront guidés par leurs budgets et les affiches. »

Fragmentation des goûts

Il y a quelques années, Dour, Les Ardentes et les Francos donnaient l’impression de se tirer méchamment dans les pattes. La crise du disque qui pousse davantage les groupes sur les routes et le succès toujours aussi significatif des festivals semblent depuis avoir apaisé les tensions. Certains programmateurs préfèrent taire leurs découvertes après des rassemblements de professionnels où ils vont faire leur shopping afin de ne pas se voir griller l’un ou l’autre coup de coeur par leurs homologues. Mais tout semble presque aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

« J’ai reçu pas moins de 10.000 propositions cette année, raconte Alex Stevens. Notre force, c’est évidemment notre diversité musicale. » Une caractéristique inhérente au festival de Dour qui lui permet de lutter naturellement contre la fragmentation des goûts. Ce que les sociologues appellent le nouvel individualisme. « Le métissage de notre public aussi est un gage de sécurité. Puisque nous comptons un tiers de Francophones, un tiers de Flamands et un tiers d’Internationaux. « 

Qu’en est-il pour les événements de taille plus modeste aux programmations nettement moins fournies? Le Micro Festival se déroule le premier week-end d’août. En même temps que Dranouter, Ronquières et Nandrin. Esperanzah! à Floreffe, et Les Nuits Secrètes, en France, non loin de Mons, à Aulnoye-Aymeries. « En matière de programmation, nous naviguons dans les mêmes sphères que ce dernier mais notre public est à 75% liégeois. Et très peu de Liégeois se déplacent jusque-là, remarque l’organisateur du Micro Jean-François Jaspers. Metz et Moon Duo vont peut-être nous ramener un petit peu de monde cette année. Mais quand tu joues sur une jauge de 1500 personnes, tu n’as pas besoin de grosses locomotives. Evidemment, certains festivaliers savent ce qu’ils veulent voir. D’autres cependant cherchent juste la découverte ou à faire un truc sympa de leur jour de congé. La programmation jette les bases mais ensuite, tu as l’ensemble. La situation géographique, le cadre, l’atmosphère… Il y a tellement de groupes intéressants sur le circuit. »

Le prix du fair-play?

Dans le paysage belge qu’il est devenu difficile d’intégrer, tout le monde aujourd’hui semble être à sa place avec son public, son ambiance, ses spécificités. Les artistes sont certes pour la plupart adeptes de la tournante. Se tapent indifféremment Lokeren, Dour, le Pukkelpop, Couleur Café, Esperanzah!, les Ardentes… Un an chez l’un, le suivant chez l’autre. Les rôles sont en attendant assez clairement définis. Werchter tape dans le festivalier sans agoraphobie qui veut enquiller les noms ronflants. Le Cactus se la joue familles poussettes. Les 10 Days Off et le Tomorrowland attaquent les serial clubbeurs. « En termes de générations, Esperanzah! et Ronquières sont sans doute les deux événements les plus concurrentiels de notre week-end. Ils parlent aux mêmes générations et ne sont distants que d’une soixantaine de kilomètres », juge JF Jaspers. Mais au final, le festival, c’est un peu comme les vacances. Chacun a ses destinations de prédilection et ses bonnes ou mauvaises habitudes. Quand ils doivent justifier la hausse du prix de leurs tickets, les organisateurs brandissent souvent celle des cachets réclamés par les artistes. Langue de bois, sagesse retrouvée (hum hum) ou finesse des maquereaux: aucun ne se plaint de tourneurs qui feraient grimper les enchères. Ni, fair-play, ne dénonce la politique dépensière de ses concurrents.

« Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup de surenchère, étaye Fabrice Lamproye. Les agents essaient forcément d’obtenir les meilleures conditions pour leurs groupes mais nous ne pouvons pas accepter n’importe quoi. Le reste de votre affiche peut faire la différence autant que le fric. Ces dernières années, Olivia Ruiz est venue chez nous parce qu’elle était contente de jouer avec Calexico. Et une Patti Smith a décoincé quelques négociations. »

« Je ne rentre pas dans le jeu de la surenchère, clame Alex Stevens. Certains agents développent les artistes en festival puis après les produisent eux-mêmes. Les malins font en sorte que le cachet soit grosso modo le juste prix. Il y en a peut-être l’un ou l’autre qui essaiera de te faire débourser 3000 euros au lieu de 1500 sur une édition mais c’est un mauvais calcul sur le long terme. Et celui qui me fait perdre mon temps, j’évite. »

Le Micro s’en sort avec un budget de 14.000 euros pour douze groupes. « Beaucoup ont envie de jouer à Dour. Et comme tous les grands, le festival hennuyer peut obtenir des exclusivités (ce qui se paie d’une manière ou d’une autre évidemment, ndlr). Mais ce n’est pas le genre de choses qu’il exige sur les artistes susceptibles de jouer chez nous. Cet été, nous avons par exemple tous les deux Holograms à notre affiche. « 

Même les festivals gratuits ne font plus trop peur. « Chez nous, ce sont plutôt eux d’ailleurs qui rencontrent des problèmes face aux payants, estime Fabrice Lamproye. Les artistes et les agents sont vigilants et respectent notre travail. Le gratuit passe après. Genre en fin de tournée. C’est différent en France. » Tant mieux ou tant pis pour les frontaliers.

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