Carte blanche

Prix de la critique, ode aux trouble-fête

C’est la deuxième fois qu’on croise Yann Lebout aux Prix de la critique théâtre, danse et cirque. La première fois, il avait « blogué » un texte bien torché sur la cérémonie. La tentation était de lui laisser, ici, la parole, à distance du monde des arts de la scène francophone qui, hier, a reçu le palmarès de ses « meilleurs » de la saison 2015-2016 en spectacle, mise en scène, scénographie, comédien, comédienne, etc. Un palmarès symbolique décerné par la presse, qui rend fier les nommés et les lauréats, leur donnant une autre visibilité. Retour sur la cérémonie qui chaque année réunit le milieu, toutes chapelles réunies…

En me rendant aux Prix de la critique, je disais à celui qui m’y accompagnait pour la première fois: j’aime bien aller aux Prix de la critique. J’aime bien y observer le petit monde du théâtre, les mêmes têtes qui se font la même bise, alors qu’elle cache peut-être une rivalité ancrée. Et puis, à chaque fois, je reviens avec un tout petit peu plus de foi en l’humanité. Je me dis « C’est certainement pas eux qui vont sauver l’économie, mais c’est peut-être bien eux qui vont sauver le monde. »

Je ne savais pas vraiment expliquer d’où cette impression me venait. Et puis, ce matin, dans le tram, j’ai lu cette terrible tribune sur Libération. Nicolas Tenzer y cite, à deux reprises, Hannah Arendt. Hier soir aussi, des lauréats ont cité cette auteure (ou autrice – le théâtre n’est pas exempt des crispations liées à la place réservée aux femmes dans l’institution, on a pu le voir tout au long de la cérémonie). Et là, le lien s’est fait. Le théâtre, la scène et ses arts, c’est ce qui nous donne les mots et les images pour lutter, pour pleurer, pour dénoncer. Sans les auteur(e)s qui les écrivent, sans les metteurs/metteuses en scène ou les scénographes pour les organiser, sans les acteurs/actrices pour les incarner, nous n’aurions plus de mots à mettre sur la réalité.

Alors, oui, cette année, les discours, au-delà des remerciements, n’étaient pas des plus réjouissants. Ils ont pour la plupart pris une teinte douce-amère: amère comme le regard qu’on porte à l’évolution de notre monde, toujours trop étriqué comme pour s’en protéger; doux comme une bravade pour garder l’espoir qu’on peut le changer. Les récompenses de la scène belge, c’est cela. Une cérémonie un peu sérieuse, avec l’humour comme « politesse du pauvre » ou comme arme du pacifiste, qui ne va certes pas concurrencer les divertissements cathodiques (et qui n’en a pas l’ambition, d’ailleurs), mais qui vise à soutenir ceux qui ont encore l’espoir qu’on « peut faire quelque chose ». Ceux qui se battent par et pour cet espoir, dans des conditions toujours difficiles (même si moins en Belgique qu’ailleurs, comme l’a souligné la lauréate du meilleur spectacle de l’année Tristesses), à contre-courant des tendances politiques actuelles (comme en témoigne la récompense des (ex-)directeurs du Théâtre National et du KVS pour les ponts créés au-delà de la frontière linguistique).

Bien sûr, derrière tout cela, il y a des luttes d’ego, de pouvoir, des questions d’argent, de fonction. Des manipulations et des coups dans le dos. Mais ce n’est pas ce qui était donné à voir hier. Hier, nous avons vu le « petit milieu des théâtreux » en rêveurs pas si doux, en révolutionnaire bourgeois, en trouble-fête de fêtes troubles. Notre meilleur espoir d’un jour voir changer les choses.

Article initialement publié sur le blog de Yann Lebout.

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Palmarès
  • Spectacle. Tristesses d’Anne-Cécile Vandalem. À revoir du 26 au 28 octobre au Théâtre de Namur.
  • Mise en scène. Lehman Trilogy de Stefano Massini, mise en scène de Lorent Wanson.
  • Comédienne. Valérie Bauchau pour Loin de Linden de Veronika Mabardi. A revoir les 7 et 8 décembre à la Maison de la culture de Tournai.
  • Comédien. Alexandre Trocki et Denis Lavant dans Elisabeth II de Thomas Bernhardt, mise en scène d’Aurore Fattier.
  • Espoir féminin. Audrey D’Hulstère Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams, mise en scène de Stephen Shank.
  • Espoir masculin. Iacopo Bruno dans Lehman Trilogy de Stefano Massini, mise en scène de Lorent Wanson
  • Scénographe. Renata Gorka pour Un conte d’hiver de Shakespeare, mise en scène de Georges Lini et Tristesse Animal Noir d’Anja Hilling, mise en scène de Georges Lini. A revoir: Tristesse Animal Noir est repris du 6 au 15 octobre à l’Atelier Théâtre Jean Vilar à Louvain-la-Neuve
  • Création artistique et technique. Cold Blood de Jaco Van Dormael, Michèle-Anne De Mey et Thomas Gunzig. A revoir Du 8 au 12 octobre au PBA de Charleroi, du 15 au 22 décembre au Théâtre royal de Namur, du 8 au 17 mars 2017 au KVS à Bruxelles.
  • Auteur. Céline Delbecq pour L’Enfant sauvage, édité aux éditions Émile Lansmann. En tournée: Le 23 février 2017 à Arlon, le 25 février 2017 à Durbuy, les 21 et 22 mars 2017 à Dinant, du 7 au 18 mars 2017 à l’Atelier 210 à Etterbeek, les 23 et 24 mars 2017 à Anderlecht (Escale Nord)
  • Découverte. On the Road… A, de Roda, mise en scène d’Eric De Staercke. En tournée: Du 10 au 28 janvier 2017 au Théâtre de Poche et à Saint-Gilles (au CC Jacques Franck du 30 janvier au 1er février 2017), à Ath (le 23 février 2017), à Jette (au CC Armillaire le 24 février 2017), à Leuze-en-Hainaut (le 23 mars 2017) et à Evere (à l’Entrela le 24 mars 2017)
  • Seul en scène. L’avenir dure longtemps par Angelo Bison, d’après Louis Althusser, adaptation et mise en scène de Michel Bernard.
  • Spectacle de danse. Rushing Stillness de Marielle Morales.
  • Spectacle jeune public. Stoel de la compagnie Nyash. En tournée dans toute la Belgique.
  • Spectacle de cirque. La Cosa de Claudio Stellato. En tournée internationale
  • Prix spécial du jury: Five Easy Pieces de Milo Rau.
  • En tournée: Du 6 au 15 octobre à Gand, le 19 octobre à Alost, les 24 et 25 novembre à Valenciennes, du 13 au 15 janvier 2017 à Gand, le 18 février 2017 à Mons.
  • Prix Bernadette Abraté au duo Jean-Louis Colinet et Jan Goossens, directeurs sortants du Théâtre National et du KVS.

www.lesprixdelacritique.be

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