[Critique théâtre] Quand la sève monte

© Hubert Amiel
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Avec une bande de comédiens qui n’ont pas froid aux yeux, Armel Roussel monte L’Éveil du printemps de Wedekind. Ce panorama des tourments adolescents n’a pas pris une ride en 127 ans.

L’auteur allemand Frank Wedekind (1864-1918) n’est pas parmi les plus connus dans nos contrées, mais son Éveil du printemps connaît régulièrement des mises en scène chez nous. Après Jasmina Douieb et Peggy Thomas (entre autres), c’est aujourd’hui Armel Roussel qui s’y colle, confirmant s’il le fallait que ce texte publié en 1891 n’a rien perdu de son tranchant.

L’Éveil du printemps dépeint les heurts et les questionnements de plusieurs adolescents en pleine éclosion sexuelle. Loin de l’eau de rose, Wedekind y va franchement pour briser les tabous et passe en revue, en vrac, le désir et la masturbation (seul ou en groupe), la violence et le viol, l’homosexualité, la prostitution, l’avortement et le suicide… Ca commence concrètement par un anniversaire, les 14 ans de Wendla, qui aimerait tant porter encore une fois sa petite robe de princesse devenue bien trop courte, et ça se termine au cimetière, en un plongeon vers le fantastique.

Sur une scène remplie de terre où rouler et se frotter, Armel Roussel livre une version remaniée du texte, actualisée, mêlant adroitement lyrisme d’hier et vocabulaire d’aujourd’hui, pulsée en live par le duo féminin Juicy (elles sont décidément partout!) qui enchaîne sur ses machines Missy Elliott et Bach. L’ensemble est porté sans pudeur par treize comédiens -Nicolas Luçon en Moritz, connaissant ses premiers rêves humides et sommé de réussir son année scolaire, Julien Frégé en Melchior aux prises avec ses propres pulsions, Florence Minder en mère désemparée face à la nécessaire éducation sexuelle de sa fille, Uiko Watanabe irrésistible en ado fan de rose puis assistante de directrice d’école, Nadège Cathelineau en modèle nu pour peintres et photographes…- qui parviennent à tenir le fil entre humour et drame. A peine regrette-t-on que les émois féminins frôlent trop souvent une hystérie drôle mais caricaturale.

Mensonges et silences coupables, peur de l’échec, incompréhensions, difficulté de la rencontre avec l’autre: en 2018, non, non, rien n’a changé. Qu’on en prenne de la graine.

L’Éveil du printemps: jusqu’au 5 mai au Théâtre National à Bruxelles, www.theatrenational.be

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