[Critique théâtre] Coupés en deux

Cut, de la Cie Saire © Philippe Weissbrodt
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Tel un magicien jouant le tour de la femme sciée en deux, le chorégraphe suisse Philippe Saire découpe scène et salle, en dotant par la même occasion le public du don d’ubiquité. Dans Cut, les spectateurs voient successivement deux fois la même chose depuis deux endroits différents. Une expérience troublante.

Décidément, les chorégraphes aiment expérimenter avec la disposition du public. Après Invited de Seppe Baeyens (voir notre critique) qui le conviait à s’installer au milieu des danseurs sur un cordon bleu géant entortillé, le voici littéralement coupé en deux par Philippe Saire. Le chorégraphe suisse joue régulièrement sur les structures spectaculaires. Il l’a fait dans sa série baptisée Dispositifs, dont Vacuum, duo entre lumière et ténèbres à l’intérieur d’un cadre de néons, a été présenté en 2016 aux Brigittines à Bruxelles et revient prochainement en version jeune public sous le titre Hocus Pocus (samedi 10 à mars à 19h30 au Théâtre La montagne magique). Dans Cut, Saire divise la scène et la salle en deux parties égales grâce à un rideau, imperméable côté public mais franchissable côté scène (un système de lamelles, noires d’un côté, blanches de l’autre). À l’entrée, chaque spectateur se voit attribuer un ticket de couleur, couleur qu’il faudra suivre pour entrer dans la salle pour la première partie (d’un côté) et après l’entracte pour la seconde (de l’autre). Sur scène, de part et d’autre de la « frontière », c’est deux fois le même spectacle qui se donne à voir, conférant ainsi au public à travers ce double point de vue un éphémère don d’ubiquité.

Le processus rappelle certains romans où les mêmes événements sont racontés par des narrateurs différents. En littérature, on appelle ça la « focalisation interne multiple », utilisée également au cinéma. Mais là où, par exemple, les quatre points de vue de Rashomon d’Akira Kurosawa (1950) se complètent pour éclaircir un crime, les deux visions de Cut laissent planer le mystère et intacte la force d’évocation. Esprits rationnels qui espérez résoudre une enquête à la Simenon, passez votre chemin! Sans trop spoiler, on dira juste que le spectacle s’inspire de souvenirs familiaux de Philippe Saire, né en Algérie en 1957 et contraint à l’exil avec ses parents cinq ans plus tard, l’année de la reconnaissance de l’indépendance. Presque sans paroles, le chorégraphe oppose à travers ses cinq interprètes (dont le magnétique Victor Dumont) le plein et le vide, le nu et le vêtu, la fête et la mélancolie, le groupe et la solitude dans ce qui est surtout une réflexion sur la mémoire et les déformations inconscientes de nos souvenirs.

Cut: jusqu’au 8 mars au 140 à Bruxelles, www.le140.be

A voir également: Hocus Pocus (à partir de 7 ans), le 10 mars au Théâtre La montagne magique à Bruxelles, www.lamontagnemagique.be

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