Serge Coosemans

Un avenir sans deejay est-il possible?

Serge Coosemans Chroniqueur

SORTIE DE ROUTE | Le deejay n’a pas toujours été une figure incontournable du monde la nuit, nous rappelle notre chroniqueur, et il suffirait d’un bon robot pour le rendre vraiment obsolète. Blague potache ou futurologie pertinente? A vous de voir.

C’était en 2005, une petite conversation avec Laurent Garnier. DJ Pedro s’était emballé: « Demain, la place du DJ pourrait très bien être au centre de la piste de danse, avec à la main un téléphone portable contenant 30.000 morceaux. N’importe qui pourrait venir lui demander n’importe quoi, ce serait un juke-box humain. Il est aussi possible que plus personne ne voyage. On jouerait chez soi, via une bonne connexion, et le set serait retransmis à Bruxelles et Melbourne, au même moment. Ce n’est pas de la science-fiction, cela s’est même déjà fait avec Future Sound of London et Carl Cox. » (in Voxer Magazine, mars 2005) « Ce n’est pas notre métier, c’est autre chose, qui n’a plus rien à voir avec le fait de sentir une salle et de jouer sur le feedback des gens », avait-il ajouté. Huit ans plus tard, presque rien ne semble pourtant avoir changé. Presque rien ne semble même un jour devoir changer. A l’aide d’applications pour tablettes, on pourrait pourtant déjà faire ce qu’envisageait Laurent Garnier, jouer au Monsieur Loyal, en plein milieu de la piste. On croise aussi de nos jours de plus en plus de gens qui, chez eux, prennent l’apéritif et terminent leurs afters devant la Boiler Room TV. Pourtant, même si cette réalité est proche des intuitions de Garnier, celles-ci restent toujours de l’ordre de la science-fiction et le moment semble toujours loin où quelqu’un ouvrira une boîte en se passant totalement et fièrement des services d’un deejay.

Gatsby le Magnifique et Boardwalk Empire sont pourtant là pour nous rappeler que du temps de nos arrière-grands-parents, les boîtes de nuit étaient animées par des chanteurs, du stand up et des orchestres. Plus tard, on a longtemps dansé au son des radios, des jukebox et des phonographes. C’est, je pense, principalement la volonté de se différencier de la concurrence qui a poussé les patrons d’établissements nocturnes à ensuite rechercher des deejays. Parce qu’ils avaient une meilleure connaissance du funk et du disco, on débauchait par exemple chaque week-end des seventies des militaires noirs américains stationnés en Allemagne. Plus tard, le roi de la nuit, c’est celui qui mettait la main en premier sur les imports house et techno originellement pressés à quelques centaines d’exemplaires. Les mecs des sonos mobiles amenaient quant à eux l’ambiance dans les campagnes et les bleds qui en étaient sinon totalement dénués. Bref, parmi d’autres choses, le deejay doit surtout sa gloire à un très gros facteur d’exclusivité. Or, comment être exclusif en 2013? Non seulement, nous vivons une époque où beaucoup de responsables préfèrent programmer du people qui passe du tube plutôt qu’un demi-cinglé qui cherche le son de l’an 3000 mais tout, absolument tout, ce qui existe est aussi à portée de clicks du premier venu. Zigomar qui peut, en plus, disposer de programmes informatiques simples qui lui permettent de sonner à peu près correctement, même avec le plus léger des bagages techniques. Il me semble dès lors inévitable que viendra forcément un moment où l’entrepreneur qui révolutionnera la nuit, excitera la branchitude comme personne et nous fera changer de paradigme culturel… Hé bien, ce gars là se passera tout simplement de deejay. Pas pour le remplacer par un blogueur, une modasse ou une star de la télé-réalité. Non, il délogera totalement le disc-jockey de son piédestal. Le ringardisera, l’enverra achever sa carrière dans une niche culturelle puriste et nostalgique.

Bien sûr, il y aura toujours pas mal de personal branling dans le secteur, des petites gueules et de profonds décolletés agités derrière les decks pour de très mauvaises raisons, surtout publicitaires, et puis, aussi d’autres types dont le travail sera de plus en plus comparable à celui de musiciens, des gars qui ne se contenteront plus de jouer la musique des autres mais la reconstruiront, la recomposeront. L’histoire, déjà longue, de la nuit dansante nous apprend ceci: l’orchestre a été remplacé par le jukebox lui même remplacé par le deejay. Ce qu’il y a à retenir de ce pitch, ce n’est rien de plus que la recherche de la meilleure performance, de préférence un brin futuriste, au meilleur prix. Autrement dit, je pense que dès qu’il existera un module de recherche automatique qui fouille le Web à la recherche de musiques nouvelles ou oubliées correspondant à ce qu’attendent statistiquement les clients d’un établissement, il sera temps pour bon nombre de deejays de se recycler dans la poterie (quasi le même mouvement des mains, après tout). Dès qu’il existera une forme d’intelligence artificielle capable de générer des sons dansants changeants correspondants aux mouvements et rythmes cardiaques perçus sur un dancefloor sensitif, on verra apparaître des John Connor du dancefloor, en guerre contre l’avènement des machines. C’est en fait très simple: le deejay sera obsolète le jour où il perdra son rôle de prescripteur, de dénicheur, de passeur, exactement comme cela a été ces dernières années le cas des disquaires et des critiques rock. Ce qui, comme dirait l’autre, n’est jamais qu’à 10 minutes dans le futur. Bonne ou mauvaise chose? Ca aussi, c’est à vous de voir.

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