U.S. Girls: « Après le premier pas fait par #MeToo, il s’agit aujourd’hui d’avancer »

"J'aimerais voir les choses rapetisser. On n'aura pas le choix. On va y être obligés. Ce sera ça ou mourir. Mais rassurons-nous. Quand on parle de survie, l'humain devient résilient et créatif..." © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sur Heavy Light, le nouvel album d’U.S. Girls, Meg Remy s’expose, questionne l’enfance et poursuit son combat contre le capitalisme et le patriarcat.

En 2018, avec le formidable In a Poem Unlimited, Meghan Remy, alias U.S. Girls, avait fait entendre sa voix de femme en colère et de citoyenne en révolte, donné un écho singulier, dansant et retentissant au combat contre le patriarcat et le capitalisme. Remy y taclait entre autres l’intimidation sexuelle, la violence domestique et la colère étouffée des femmes. Le tout sur une pop diablement aventureuse. « La pop music est définitivement un bon véhicule pour dire et exprimer des choses importantes. Comme la grenadine qui t’aide à faire passer un médicament, plaisante-t-elle avec tout son sens de la formule dans un bar d’hôtel bruxellois. Il n’y a rien de mieux qu’apprendre ou ressentir quelque chose en y prenant du plaisir. Le problème, c’est que la pop, la vraie pop commerciale, est à l’étroit et maintenue sous l’éteignoir. L’industrie ne veut pas de politique dans ses chansons. Le business est une chose et la musique en est une autre. Elles n’ont pas du tout les mêmes agendas. »

Contrairement à la plupart des autres artistes de son label (4AD), U.S. Girls avoue ne pas être invitée dans les shows télévisés de seconde partie de soirée si populaires aux États-Unis. « Ils nous ont dit non. « On ne veut pas de ça à la télé. On ne veut pas de ce genre de message. Pas de gens qui ressemblent à ça. On ne leur fait pas confiance. Que vont-ils nous réserver à l’antenne? Un plan à la Sinead O’Connor (qui s’est présentée voilée dans une émission après s’être convertie à l’Islam)? «  Mais à quoi t’attends-tu d’une industrie? Elle n’a qu’un seul but… »

Enregistré avec 20 musiciens (dont Jake Clemons, saxophoniste de E Street Band) à l’Hotel2Tango, Heavy Light est un disque de pop moderne, polyphonique et percussif. La rencontre de Madonna, Blondie, Tune-Yards, St. Vincent et The Supremes. Après s’être de son propre aveu souvent cachée derrière des personnages, l’Américaine de Toronto, via Chicago, a ausculté ses propres blessures. « J’ai voulu davantage m’exposer. Rendre les choses plus personnelles. J’étais prête à ça. Je m’y étais préparée dans l’écriture. La confiance, le fait de vieillir, de vivre avec mon partenaire depuis dix ans… »

Quand on lui demande si sa vision du monde a beaucoup changé ces dernières années, Remy répond qu’elle a lu un tas de livres. À l’ombre des majorités silencieuses de Baudrillard, l’autobiographie d’Emma Goldman… « C’est une militante qui a vécu au tournant du XIXe et du XXe siècle. Elle y explique comment elle tombe dans l’anarchisme mais aussi comment en vieillissant, elle fait face à ses propres contradictions. Elle révèle constamment en quoi elle se contredit et en rit. Jeune, elle a embrassé l’idéal. Elle faisait tout pour la cause. Jusque dans ses excès. J’ai adoré son honnêteté, sa liberté. Son empathie pour elle et pour les autres. »

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Ces qualités, on les retrouve dans la musique, les paroles et la personnalité d’U.S. Girls. Comme elle le chante sur l’irrésistible et groovy 4 American Dollars: « We’re on the same boat but different seats. »

« Je ne sais pas quel est mon siège pour l’instant. Je suis en classe économique. Pas en business. Mais je sais que je suis une privilégiée. Je viens d’Amérique. Je suis blanche. J’ai un profil public. Mon fauteuil n’est pas doré mais il est moelleux comparé à celui de la plupart des gens sur cette terre. »

Consentement

Comme le reflètent les titres de plusieurs chansons (Advice to Teenage Self, The Color of Your Childhood Bedroom) et la pochette d’Heavy Light sur laquelle Remy pose, le visage triste, avec une petite fille de cinq ans, le thème de l’enfance traverse l’album de bout en bout. On peut y entendre des choses comme « You didn’t choose to be born and I’ve never heard of anyone who has. I’ve never known no baby with a plan for how to survive » (IOU). « C’est pour ça que la vie est difficile à comprendre. Tu débarques. Il n’y a pas de bien ou de mal. Il n’y a pas de réponse. Tes parents sont ces idiots bienveillants. Ils ont beau être géniaux, ils ne savent pas ce qu’ils doivent faire. Si tu survis, tu fais déjà du bon boulot. Mais le but devrait être de survivre avec un impact honnête et positif sur les autres et la planète. Ça semble très con. Mais c’est intéressant de se dire qu’on a tous été créés sans notre consentement. C’est sauvage et assez dingue d’arriver sur pareil trauma. »

Si son titre évoque Johnny Thunders et les vieilles amours punk de Remy, Born to Lose est une reprise de Jack Name et parle d’enfants médicamentés. « C’est très courant aux États-Unis. Plutôt que de traiter les problèmes que peut avoir ton gosse, de comprendre ce qui ne va pas, ce qui lui arrive, peut-être le temps devant les écrans ou un manque d’attention, tu lui files des médocs, tu lui fais manger des pilules. C’est pas sain, tenable. C’est comme un bandage sur une blessure ouverte. Ce n’est pas un soin, c’est juste une manière d’ignorer. »

Ce que semble aussi faire à sa manière la société face aux revendications féminines. « Le débat a plus de retentissement que jamais. Ce n’est plus une question d’intellectuels, de professeurs. On en parle aujourd’hui à tous les niveaux. Je ne sais pas s’il y a beaucoup plus que ça. Les médias utilisent ce qui arrive aux femmes pour vendre. C’est de l’entertainment. On me questionne en permanence sur MeToo. J’ai l’impression que maintenant les gens sont contents d’eux. Ça y est. Ils se frottent les mains. Ils ont fait leur boulot. Mais après le premier pas, il s’agit aujourd’hui d’avancer. »

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L’initiative n’est pas très courante. Sur son nouvel album, Remy fait parler ses collaborateurs de leur enfance dans des intermèdes polyphoniques et revisite trois de ses anciennes chansons: Statehouse (It’s a Man’s World), Red Ford Radio et Overtime… « Je voulais voir si ces chansons m’intéressaient encore et résonnaient toujours. Ce que les paroles que ce plus jeune moi avait écrites signifiaient dans ma bouche aujourd’hui. Je peux les remplir avec davantage d’expérience et le monde a changé… »

U.S. Girls, Heavy Light, distribué par 4AD. ****

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