Thurston Moore, l’opposition positive

Thurston Moore, entre rock dissonant, engagement politique et tranquilité mystique. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Entre une sortie anti-Trump, un plaidoyer contre les armes à feu, des chansons de soutien à Bernie Sanders et à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, Thurston Moore sort Rock N Roll Consciousness et prône l’opposition positive.

A 58 ans, un âge où le rock’n’roll se vit trop souvent dans le formol, Thurston Moore fait figure d’éternel adolescent. La jeunesse, le leader de feu Sonic Youth en a conservé l’audace. L’enthousiasme. Le sens de la rébellion. Mais le tout empreint d’une sagesse qu’il a communicative. Dans un hôtel de luxe accroché à la Gare du Midi, le New-Yorkais présente son nouvel album (un peu) et parle politique (beaucoup). Kool thing…

Étant donné vos prises de position et votre single Cease Fire sorti en mars 2016 (il ne figure pas sur l’album, NDLR), on s’attendait à un disque plus politiquement virulent de votre part…

Ce n’est pas un album politique par intention. Je veux dire par là que je ne l’ai pas pensé comme un disque activiste. Quand j’écrivais cet album, je voulais fouiller dans le spirituel plus que dans le politique. J’aime l’idée qu’il sorte au printemps. Quand je l’ai enregistré, il n’y avait aucun indice du chaos qui attendait les États-Unis. Je l’ai écrit fin 2015 et mis en boîte début 2016. Puis les choses sont devenues de plus en plus intenses et préoccupantes au fil de l’année. Les morceaux sont longs. Musicalement, j’ai voulu laisser les guitares s’exprimer. Quant aux paroles, j’en ai partagé l’écriture avec Radieux Radio. Une poétesse transgenre, féministe et mystique, qui crée une espèce de littérature de l’énergie féminine. Je suis content que l’album sorte en avril parce qu’il a une jolie voix. Comme une résistance à cette bouffée patriarcale et raciste qui souffle dans les couloirs du pouvoir. Cease Fire était né après les attentats de Paris. Tellement de haine… Je tournais à l’époque. Je jouais en Europe. Ce qui rendait les choses encore plus proches de moi. A fortiori quand elles se déroulaient dans une salle de concert. J’ai grandi près de Newton, Connecticut, où s’est déroulé ce terrible massacre en 2012 dans une école primaire. L’une des victimes avait même été l’institutrice de ma soeur. Je sais que ça n’arrivera pas comme ça mais je prône l’éradication rapide des armes à feu. Le morceau questionne toutes ces idéologies qui les utilisent pour renforcer leur système de croyance.

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À quoi fait référence le titre de votre album: Rock N Roll Consciousness?

Ce titre m’est venu il y a deux ans. J’enseigne dans une université d’inspiration bouddhiste (la Naropa University, dans le Colorado, NDLR). J’ai lu dans les textes toutes ces questions de conscience, de karma. Et j’ai réalisé qu’à travers la méditation, tu vois la relation entre le monde physique et métaphysique. C’est une belle philosophie religieuse qui fait référence à pas mal de choses que j’apprécie. Elle se soucie de la planète, des plus démunis, de la diversité. Ce qui est juste à l’opposé de ce qui se trouve aujourd’hui dans nos agendas. Ego, narcissisme, soif inextinguible de pouvoir… Je ne voulais pas non plus me mentir avec la religion. Je cherchais juste une réalisation. Cette forme de conscience a toujours été là tout spécialement dans les philosophies orientales. Mais je me suis demandé où je trouvais, moi, cet espace de méditation. Et ma réponse à cette question, c’est le rock’n’roll. C’est lui mon monde spirituel. Mes dieux? Muddy Waters, Billie Holiday, les Beatles, The Raincoats…

Cette conscience rock’n’roll a évolué selon vous?

Est-ce que tu peux imaginer Donald Trump jouer de la guitare, peindre ou mu0026#xEA;me lire quelque chose qui ne soit pas u0026#xE9;crit en grands caractu0026#xE8;res? Pas vraiment hein…

Les temps n’ont pas beaucoup changé depuis l’arrivée de Robert Johnson. C’est une expression de l’esprit. Ce sera toujours ça, la conscience rock’n’roll. Ça existe dans la vie créative de l’artiste. Tout est question de partage. La plupart des créateurs ont certains principes en commun. Est-ce que tu peux imaginer Donald Trump jouer de la guitare, peindre ou même lire quelque chose qui ne soit pas écrit en grands caractères? Pas vraiment hein… Lui, il puise son énergie dans l’argent. L’ego et l’argent. Les femmes, elles, sont juste là pour le servir. C’était si flagrant dès le premier jour. Quand il est sorti de sa limousine pour aller jusqu’à la Maison-Blanche, il a laissé son épouse dans la bagnole…

Comment faites-vous face à ce qui se passe aux États-Unis tout en vivant à Londres?

Je vis partout, tu sais. Mon style d’existence me permet de vivre en fuite. J’habite dans des aéroports, des trains et des hôtels. J’ai une résidence à Londres et une autre aux States mais je suis constamment en train de voyager. Je suis retourné plusieurs fois au pays depuis l’élection. J’ai participé à la manifestation le jour de son investiture. J’ai ensuite été à la marche des femmes le lendemain à Washington DC. Je voulais protester. Joindre ma voix à celles des autres. La première était un jour gris. Incroyablement encadré par la police. Personne ne pouvait s’approcher. La deuxième, c’était juste une célébration joyeuse de centaines de milliers de voix dans la rue. Hurler son opposition, mais dans la joie. J’avais beaucoup d’amis là-bas. Je voulais me promener sous cette bannière optimiste. Au plus de monde au mieux. Donc tu te bouges. Puis je voulais montrer que la majorité des gens sur cette planète sont en rupture avec ce désir de pouvoir qui habite Trump. Cette ambition, ce narcissisme, cette avidité sans aucun intérêt pour le bien-être du monde.

Vous utilisez beaucoup les réseaux sociaux pour communiquer sur le sujet?

Ce sont juste des caisses de résonance. C’est comme avoir des posters sur les murs de ta chambre quand tu es adolescent: parfois les gens entrent et les regardent. Ce n’est pas une manière de combattre selon moi. C’est une façon de partager. Parfois quand je vois un essai, un article que je trouve intéressant, questionnant, je l’épingle sur Facebook ou ailleurs. Mais toujours en renvoyant à un lien. En mentionnant leur origine. Je ne veux pas que les gens aient à me croire sur parole… Enfin bref, c’est du partage pour moi ces réseaux sociaux. Ils me permettent aussi de voir ce qui intéresse et branche mes potes. Prenez ce disque d’Ho99o9 qui arrive bientôt. Il va s’intituler United States of Horror. Ils ont sorti récemment une vidéo super agressive qui s’attaque à l’agenda raciste blanc… C’est super intense. On a joué avec eux. Des mecs hyper gentils.

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L’année dernière, vous avez sorti Feel It in Your Guts, en soutien à Bernie Sanders…

J’ai fait campagne pour lui. Des amis à moi qui ont une maison de disques voulaient l’aider comme ils pouvaient. Ils m’ont demandé si j’étais prêt à leur envoyer de la musique à la guitare pour accompagner des extraits de ses discours. J’ai balancé quelques grattes acoustiques et puis on l’a rencontré. J’étais trop heureux de m’investir dans quelque chose comme ça. Je me suis même senti honoré. Je n’ai pas fait campagne de manière officielle. J’ai juste utilisé mon pouvoir d’artiste qui enregistre pour que les gens puissent entendre sa sagesse. Il est la seule personne qui aurait pu faire un bon Président dans cette bagarre. C’est l’antithèse de ce que nous avons. Il est progressiste, social, soucieux des gens… Il aurait créé un équilibre entre la population, le gouvernement et les institutions. Il est toujours dans les parages. Tous les jours, il tient à l’oeil tout ce qui se passe. Il peut juste être là. Regarder le gamin dans la cour de récréation jouer de son influence. C’est intéressant. La plupart des médias ne sont pour l’instant pas très sophistiqués et articulés dans leur journalisme. Ils font face à un Président qui parle juste comme un voyou et en font rapport. Les comédiens eux s’en donnent à coeur joie. Parce que ça pourrait difficilement être plus risible. Cette petite tête de brute qui a été élevée au pouvoir. Les comédiens ont une vraie et grande responsabilité. Trump est sur la scène new-yorkaise depuis toujours. Il a de tout temps été une blague pour nous, New-Yorkais, mais maintenant il l’est pour le monde entier.

Vous avez aussi participé à une cassette soutenant Chelsea Manning (cette ancienne analyste du renseignement en Irak emprisonnée pour avoir livré au site WikiLeaks des documents classés secret défense, NDLR). Vous avez été entendu: sa libération est prévue pour le 17 mai…

Chelsea m’a écrit pour me remercier. Ce qui est vraiment cool je trouve. À cette ère du tout technologique, c’est une personne vraiment importante. Elle nous a tous exposés aux injustices qui se perpétuent dans la machine de guerre. On ne devrait jamais avoir une machine pareille. Mais pour l’instant, c’est elle qui domine l’Amérique. Parce qu’au moment où on parle, on est en train de déshabiller, de détricoter tout ce qui a trait à l’humanitaire, au soutien des femmes fragilisées, aux programmes artistiques… Le gouvernement actuel les considère sans intérêt dans la vie américaine. Tout l’argent ira au militaire. Enfin bref. Les lanceurs d’alerte sont souvent considérés comme des traîtres à la patrie alors qu’ils devraient être traités comme des héros. Je pense que la transparence doit beaucoup à la technologie. C’est elle qui nous permet de voir ce qu’il se passe dans le monde. La vraie guerre a lieu en ligne.

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Qui sont les plus engagés politiquement, les jeunes rockeurs anglais ou américains?

Ils se radicalisent maintenant d’un côté comme de l’autre. Aux États-Unis, je pense qu’on doit notamment l’apathie à une sorte de complaisance ces huit dernières années. Sachant que nous étions représentés par un politicien sophistiqué. Spécialiste du droit comme sa femme. Pendant huit ans, donc, on a eu ce dialogue mesuré et empreint de respect. Malgré ce qui se passait à une échelle plus globale, complexe. Bien sûr, je n’aime pas que des bombes soient lâchées sur sept pays comme c’est arrivé sous Obama avec Clinton comme secrétaire d’État. Est-ce qu’on aurait voulu continuer dans cette voie? Peut-être que non. Peut-être qu’on aurait voulu un Bernie Sanders. Au moins, on aurait eu un vrai politicien. Si les groupes ne sont pas encore engagés, ils vont bientôt l’être. Je te parlais des Ho99o9. Ils représentent quelque chose qu’on va de plus en plus entendre. Et dans leur cas, ça vient de mecs afro-américains. Pour l’instant, on est en train de sortir de l’état de choc. Tu t’en rends déjà compte dans le milieu de l’art moderne avec certains des artistes les plus importants comme Marilyn Minter actuellement exposée au Musée de Brooklyn. C’est elle qui a designé cette affiche avec le texte de Donald Trump qui explique comment il aime attraper un vagin et baiser une femme mariée. Elle était partout dans New York…

C’est quoi, ce bouquin sorti en mars, We Sing A New Language, the oral discography of Thurston Moore?

Ce mec, Nick Soulsby, a écrit un livre sur tous les travaux musicaux que j’ai réalisés en dehors de Sonic Youth. Un projet complètement fou. Il avait déjà signé un bouquin sur Nirvana pour lequel il avait interviewé tous les groupes et jusqu’au moindre musicien qui avaient joué avec le band de Kurt Cobain avant la sortie de Bleach. Il avait épluché des tonnes de flyers sur lesquels Nirvana était écrit en tout petit. Il avait interviewé tout le monde. Tous ces musiciens des alentours de Seattle, de Washington State… C’est l’histoire parallèle en quelque sorte. Ce livre qu’il a fait sur moi ne parle donc pas de moi. C’est génial. Il parle de tous ces gens qui avaient des labels de cassettes, des labels noise. Ces mecs avec lesquels j’ai travaillé parfois même sans jamais les avoir rencontrés. Ils racontent ce qu’ils font. Ce qui les a amenés à me rencontrer. Un tas de récits… Ma tête est sur la couverture et mon nom écrit en grand mais c’est à propos de tous les autres et j’aime ça. C’est super complet. Il a bien fait ses devoirs. Mais je suis sûr qu’il doit subsister quelques petits trous.

Le 26/06 à l’Aeronef (Lille) et le 02/07 à Rock Werchter.

Thurston Moore – « Rock N Roll Consciousness »

Rock. Distribué par Caroline. ***(*)

À nouveau flanqué de Debbie Googe (My Bloody Valentine), Steve Shelley (Sonic Youth) et James Sedwards (Guapo, Chrome Hoof), Thurston Moore a confié la production de son dernier album à Paul Epworth (Adele, Florence & The Machine mais aussi Primal Scream, The Pop Group…) et dévoile un disque à guitares qui étale son électricité sereine sur cinq longues plages (deux dépassent les dix minutes) au chant plaintif et aux percées bruitistes. Moore, qui se présentait en solo à la gratte acoustique aux Ateliers Claus mi-mars, conjugue ici rock dissonant et tranquillité mystique. Le son d’une quête et le bruit de la sagesse.

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