Témoignages: le premier Dour raconté par ceux qui l’ont vécu

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Le bout de steak de Bernard Lavilliers, la sécurité assurée par le club de judo. 1989: souvenirs défaillants et légendes festivalières.

Patrick Dubucq (agence de placement et booking Ubu):  » Carlo (Di Antonio, le fondateur, NDLR) et ses potes avaient signé Lavilliers. Un bon hold-up. Ils avaient payé assez cher et ils sont arrivés chez moi pour les aider à organiser le reste de l’événement. Le contrat était signé. Impossible de revenir en arrière, plus moyen de négocier le cachet. On a vu ce qui leur restait comme budget et on a essayé de faire ce qu’on pouvait. Je bossais avec Les Gangsters d’amour, Les Innocents, Les Tricheurs et Gamine. Puis, on a pris un ou deux groupes locaux. On a aussi aidé à la réalisation pratique et technique. »

Pascal Tierce (journaliste à La Province et sprinter):  » Je me retrouve au premier Dour en tant que correspondant de presse. Je suis né en 1958. J’ai une culture rock, une culture de la contestation. Je suis rentré dans le journalisme après le service militaire. En mars 1989, Carlo vient frapper à ma porte. On est tous les deux sociétaires de Dour Sports à l’époque. Lui, c’est le 800 et le 1500 mètres. Moi, je suis plutôt branché 200. Bref, il vient me voir et me demande de répercuter l’info. J’ai écrit le premier article pour annoncer le festival de Dour… »

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Pierre Basecq (festivalier VIP):  » Sans le savoir, les organisateurs avaient installé la Main Stage, qui était alors la seule scène du festival, sur un terrain qui appartenait à mes parents. Ils n’avaient rien demandé. Ils pensaient que c’était la propriété du club d’athlétisme. Je suis venu avec un bus aménagé en espace VIP. J’avais des frigos, du vin. Et j’ai invité mes potes à venir boire un coup. Ils ne pouvaient pas refuser. Les chiffres officiels de fréquentation me semblent très optimistes. Il y avait presque autant de bénévoles que de mecs qui avaient payé. Comme c’est souvent le cas lors d’une première édition. L’équipe espérait avec une affiche pareille, si près de la frontière, capter une clientèle française. On parle de 2 000 entrées payantes. Pour moi, il n’y en avait pas 1 500.  »

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Pascal Tierce:  » Le temps était très mauvais. Je vois encore le papa de Carlo qui recouvrait les flaques d’eau avec de la paille pour accueillir correctement les festivaliers. La scène faisait dos au hall de Dour Sports. Mais elle a changé de sens lors des éditions suivantes. Dos au terril. Ce qui a obligé ceux qui en avaient profité gratuitement lors de la première édition à payer leur place. À l’époque, l’événement se cherche. Selon moi, il y avait peut-être 800 personnes… En tout cas pas les 2 000 annoncés. Lavilliers, qui était plus un petit bourgeois qu’autre chose, qui avait exigé une certaine épaisseur de viande, un certain millésime pour son whisky, était au creux de la vague. Le reste, c’était de la pop en français. Bien sympathique, bien habillée. »

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Marc « Morgan » Wathieu (tricheur beurré):  » On adorait Gamine. On était potes avec Les Gangsters. On avait 19 ans. On était jeunes et cons. On avait picolé toute la journée. Peut-être déjà avant notre concert d’ailleurs quand je vois les photos… Notre batteur Sergio était complètement bourré. Encore plus que nous. Il a pas arrêté de foutre le souk dans les loges et il s’est fait virer. Tout le monde de toute façon a dû faire de la place pour Bernard Lavilliers. Je ne me souviens pas avoir vu la moindre note de son concert. Il a jeté un froid. On était tous des groupes d’un modeste format. Aucun d’entre nous n’avait d’exigences particulières… Sinon, Rudy Léonet présentait les concerts. L’affiche ressemblait, Lavilliers excepté, à la programmation de son émission French Kiss. Pop rock et francophone. »

Pascal Tierce:  » Dans l’équipe, il y a le frère de Carlo: Bob, l’homme de l’ombre. Les gens de Dour Sports qui donnent un coup de main. Les roadies viennent d’un café de jeunes à Saint-Ghislain. « On a besoin de main-d’oeuvre. Vous savez soulever des baffles?  » C’était très artisanal. La sécurité était d’ailleurs assurée par un club de judo. Ce ne serait plus possible aujourd’hui. Dans le temps, il n’y avait pas la loi Tobback. »

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Pierre Basecq:  » Je ne sais plus si c’était un club de judo ou de karaté. Pas mal de bruits ont couru. Vérité ou légende? Apparemment, Lavilliers avait exigé qu’une salle de muscu soit mise à sa disposition. Les organisateurs en avaient trouvé une à une dizaine de kilomètres et l’avaient réservée. Il va de soi qu’il n’y a jamais mis les pieds. Il se dit aussi qu’il était mécontent de son repas et que l’organisation a réveillé un boucher pour lui acheter un bout de viande… Il n’y avait pas de GSM à l’époque et le festival n’avait qu’une seule ligne fixe. Lavilliers l’a monopolisée et a appelé à l’étranger. La note a été épouvantable. Il téléphonait à Viktor Lazlo. »

Carlo Di Antonio (gentil organisateur):  » Aujourd’hui, on sait que Lavilliers n’aurait pas annulé même s’il n’avait pas eu son steak. Mais à l’époque, on redoutait le pire. On imaginait qu’il ne monterait pas sur scène. Je n’ai pas vécu ça directement. Mais je sais qu’on a couru jusqu’à la boucherie du Nopri. On est arrivé juste avant la fermeture à 18 heures. Le lendemain, le boucher faisait la une de La Province… Le soulagement arrive quand la tête d’affiche commence à jouer. Il pleut, le public est clairsemé, mais quand Lavilliers fait ses trois premiers morceaux, on peut se dire qu’on y est arrivés. 48 heures plus tôt, on baignait encore dans le doute. Ne serait-ce que pour des raisons financières et logistiques. On avait par exemple versé un acompte à la société qui montait la scène. On espérait payer le reste après le festival. Quand le gars s’est rendu compte la veille qu’on allait être un peu juste, il a demandé un second montant pour poser le toit. On a dû faire le tour des points de vente en urgence pour le payer. »

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Pierre Basecq:  » Dans une interview par la suite, Lavilliers a déclaré qu’il avait trouvé sympathique les petits Belges qui avaient pris le risque d’organiser un festival. Qu’ils s’étaient cassé la gueule et qu’il reviendrait gratuitement. Ça fait 29 ans. On l’attend toujours. »

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