Suprême Nique ton ASMR!

645AR © capture d'écran YouTube
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Brian Eno a une idée de ce que va être la musique nouvelle du futur proche: du rap vocal chuchoté, de l’ambient a cappella qui détend. Tout cela n’est pas encore vraiment au point, mais The KLF était-il lui-même vraiment au point en 1990? Techno de boomers et « rap de foetus », c’est le Crash-Test S06E41!

Je tiens The KLF pour l’un des groupes les plus passionnants de l’histoire musicale. Non pas pour leur musique, aussi jouissive que foncièrement patachonne. Plutôt pour toute l’imagerie charriée depuis 35 ans. Les concepts bizarres, les ponts avec l’art contemporain, la mystique même… Voilà quand même des gars que l’on accuse d’avoir tué des moutons avec un canon sonique monté sur un char d’assaut démilitarisé et qui ont brûlé lors d’une cérémonie 1 million de livres sterling sans vraiment pouvoir expliquer leur geste. John Higgs a écrit sur eux un bouquin fantastique, Chaos, Magic and the Band Who Burned a Million Pounds. Selon le quatrième de couverture, il y parle plus « de dadaïsme, de la théorie du chaos, de synchronicités, de pensée magique, de punk, de raves, du symbolisme alchimique de la série Doctor Who et du pouvoir spécial du chiffre 23 » que d’un duo fournisseur de gros boum boum ayant cartonné dans les charts européens il y a 30 ans. La musique de The KLF est essentiellement de l’ambient pas fort finaude et de la house de stade. Mais comme Alan Moore a pu détourner les bédés de superhéros pour diffuser ses idées pas du tout ordinaires sur la vie et l’univers, The KLF s’est servi de la techno oumpapa pour disséminer dans le grand public des flammèches dadaïstes, révolutionnaires et magiques. Dont celle-ci: durant plus de 25 ans, ne jamais rééditer quoi que ce soit, rendre même son catalogue complètement indisponible. Ce n’est en effet que depuis le début de cette année 2021 que leur musique, parfois retravaillée, est disponible sur les services de streaming. Et si j’ai bien tout compris, les rééditions physiques pourraient suivre en magasins. En attendant, quand on veut du KLF et qu’on n’en a pas, il faut toujours espérer en trouver chez les soldeurs et sur les brocantes. Ce qui n’est pas rare du tout, cela dit.

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J’ai réécouté l’album Chill Out pour le coup, qui est piraté sur YouTube depuis des années. À côté de Brian Eno, Coil, Labradford, Neu, Cluster, The Orb et bien d’autres, c’est plutôt pataud, niveau ambient. Si vous aimez à ce point écouter des trains et des moutons, je vous recommande d’ailleurs plutôt l’extraordinaire El Tren Fantasma de Chris Watson (2011). L’album Chill Out n’en est pas moins différent de beaucoup d’autres choses qui existent. Original, donc. Dès lors, je pense que l’on devrait un peu se foutre de savoir si The KLF est « bien » ou pas. La vraie question, c’est plutôt « est-ce qu’une telle originalité est encore possible? » Alors que l’impression générale est que tout a déjà été fait 1000 fois, peut-il encore exister quelque chose qui ne ressemble à rien d’autre et peu en importe la qualité? À mes heures théoricien de comptoir, je pensais avoir depuis longtemps la réponse à cette question: oui, mais seulement quand changera l’instrument servant de moteur principal à la musique populaire. Nous avions le piano, puis la guitare électrique, ensuite encore les synthétiseurs et les séquenceurs. Depuis, nous attendons qu’un nouvel instrument marque une nouvelle révolution musicale. Qui ne semble pas prête d’advenir. Ou qui, en fait, est là depuis quelques années déjà, mais occupée à se développer là où on ne l’attend pas du tout.

Dans un très bon podcast de la nouvelle série Broken Record, Brian Eno, questionné par Rick Rubin, a évoqué cette étrange nouvelle musique qui se développe dans des niches ignorées de beaucoup et qu’il dit assez apprécier: de l’ambient essentiellement vocal… Des rappeurs qui chuchotent… Des morceaux qui donnent l’impression d’écouter Beyoncé ou Rihanna à travers un mur… Ce qui est très relaxant, très agréable… Hein? Entendre de la musique à travers un mur équivaut pour moi à une déclaration de guerre à la tronçonneuse. C’est quoi, dès lors, ces conneries, Brian? De l’ASMR, m’a depuis appris une petite recherche sur Internet. Une culture née sur les réseaux sociaux il y a moins de dix ans, et axée autour de l’autonomous sensory meridian response, la « réponse autonome sensorielle culminante« , c’est-à-dire « une sensation distincte, agréable, de picotement ou de frissons au niveau du crâne, du cuir chevelu ou des zones périphériques du corps, en réponse à un stimulus visuel, auditif, olfactif ou cognitif« . Entrez « ASMR » sur YouTube et vous aurez droit à pas mal de vidéos où des jeunes gens chuchotent dans des micros de bonne qualité, tapotent des objets, se brossent les cheveux, mâchouillent des bonbons et récitent même des dialogues entiers de films à voix extrêmement basse. Des gazettes sensationnalistes ont jadis parlé de « drogues auditives » et de « sons qui produisent des orgasmes à distance » pour qualifier leurs prestations. Bullshit, bien entendu. Ces « artistes ASMR » cherchent juste à détendre leur public, à l’aider à trouver le sommeil. Personnellement, je dois bien avouer ne pas tenir plus de 30 secondes devant ces trucs. Vraiment, je ne vois pas de meilleure façon de me torturer. D’ailleurs, si la plupart des gens s’accordent généralement à trouver que quelqu’un qui mange bruyamment dans un train est passible du supplice du pal, je ne comprends pas très bien pourquoi cela deviendrait un plaisir de se l’infliger au casque chez soi allongé sur son canapé?

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L’idée de Eno est toutefois intrigante. Imaginons que se mette à exister de l’ambient a cappella. Plus besoin d’apprendre à jouer d’un instrument ou savoir caler des beats et des samples sur Pro Tools. Juste apprendre à moduler sa voix, à jouer avec les subtilités du son et du micro. Ce ne serait bien entendu pas neuf du tout, cela tiendrait même d’un retour complet aux sources de la musique. Ce qui est toutefois plutôt excitant comme champ des possibles. Malheureusement, il semble que l’on en soit encore loin d’une véritable révolution. J’ai cherché des références de musique moderne, de rap notamment, qui serait influencée par l’ASMR. Je suis ainsi tombé sur un article de HighSnobiety, qui n’a toujours pas fini de me faire rire tellement il en rajoute des couches et des couches dans les concepts fumeux en évoquant des voix qui « provoquent des expériences hors-du-corps« , « du rap de foetus » et de la musique qui ressemble à « l’hymne national d’une civilisation extraterrestre » . Tout cela pour principalement parler de 645AR et Axxturel, des artistes qui cartonnent sur TikTok. La voix trafiquée du premier est assez consternante: on croirait entendre Fred Jannin imiter le petit scout flamand ayant planté le godillot dans une bouse wallonne. Axxturel, c’est encore plus ridicule: son titre Ave Domina Lilith, jugé démoniaque par beaucoup de commentateurs sur TikTok ressemble à une démo de Nine Inch Nails époque Closer sur laquelle un singe après 3 bières trappistes jouerait au démon de manga. Autant dire que pour n’importe qui connaissant les messes noires flippantes de White Noise et même les BO un peu extrêmes de films d’horreur mainstream composées par Ennio Morricone et Jerry Goldsmith, ce que fabrique cette personne est aussi con que du beurre fondu. Cela dit, comme pour le pataud Chill Out de The KLF en 1990, à la fois couillonnade et jalon d’un genre et d’un style de mix qui n’ont depuis cessé de se développer, qui sait si ces bêtises ne sont pas que des prototypes malhabiles et grotesques d’une musique à venir plus efficiente et qui atomisera vraiment tout dans un futur proche? Moi, en tous cas, quand Brian Eno sent un truc, je tiens ça à l’oeil. Sauf quand c’est Coldplay, mais bon…

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