Son studio-van solaire garé, Thylacine nous raconte l’Argentine au Botanique

Thylacine de retour d'Argentine avec Roads Vol. 1 © DR

William Rezé alias Thylacine nous revient d’Argentine où il a écumé les routes à bord de son Airstream. Nous lui avons tendu le micro pour le questionner sur les conditions d’enregistrement de cette épopée de trois mois.

De retour d’Argentine, le Français William Rezé est venu faire vibrer les enceintes de l’Orangerie avec Roads vol. 1, la bande sonore de son road trip le long de la cordillère des Andes. Remarquable couteau suisse, il est à l’origine d’absolument tout ce qui constitue son projet. Dès le mois de juin 2018, il récupérait un vieux van Airstream de 1972 et s’attelait seul à sa rénovation, à l’aménagement d’un studio et à l’installation de panneaux solaires sur le toit. La scénographie, les visuels, la gestion d’un label dont il est le fondateur: il gère tout cela dans une optique d’indépendance. En septembre, il s’envolait rejoindre son van, transporté par cargo.

Partir créer un album autant de temps, en plein désert argentin, requiert d’anticiper des besoins énergétiques. Il a donc vidé ses poches et sué durant plusieurs semaines pour cette petite maison. La motivation derrière tout ça? Une quête pour la recette à l’inspiration. « C’est un peu un constat cartésien. Je ne peux faire que trois morceaux dans un même endroit. À un moment donné on ne va pas déménager toutes les deux semaines. La créativité me vient lorsque je suis en mouvement, dans le train entre les concerts, par exemple. Il me faut être coupé d’un quotidien classique, être en constant émerveillement. Je considère ça comme un vrai challenge de création. Tu te mets mentalement en difficulté, surtout quand tu pars sur un album. Ce n’est pas rose, mais c’est ça qui est important. Pouvoir se remettre en cause et aller chercher au plus profond pour faire quelque chose d’intéressant. »

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Seul pendant un mois sur trois, il voguait au fil de la météo, de ses périodes de composition à huis clos dans sa tiny house. Peu dérangé par le confinement de son studio sur roue, il en vante même le confort. « Ce n’est pas si petit… Il y a un aspect confort non négligeable. L’intérieur fait 6 mètres de long. Et je tiens debout avec un peu de marge (NB: Il doit faire 1m80), c’est une petite maison quoi. Pendant trois mois, j’étais comme un gosse à être dingue du fait que j’avais de l’électricité au milieu de nulle part, grâce aux panneaux solaires. Pouvoir faire de la musique comme ça, alors qu’il n’y a personne, t’es dans le désert, c’est un peu inouï. A contrario, le Transsibérien était bien plus express et moins confortable dans la composition, mais en même temps assez facile car dans le train, je ne m’occupais pas de la destination, je sors quand c’est fini. »

Artiste caméléon, Thylacine cherche les sons un peu partout. Que ce soit sur le clip de War Dance où on le remarque sur un tank avec son dictaphone, ou dans Purmamarca où il capte le bruissement d’une rivière, ses morceaux sont enrichis des lieux et atmosphères qu’il découvre. Pour lui, ces samples sont partout. Flagrants, retravaillés jusqu’à n’être plus qu’une mélodie électronique, ou alors juste planqués dans une transition. « Pour Condor, j’accompagnais les villageois avec lesquels j’ai vécu quelque temps, dans cet endroit paumé. J’ai commencé à les aider, en leur filant même des médicaments, où en les emmenant faire des courses car ils n’avaient pas de voiture et à la fin on mangeait tous ensemble. Nous sommes devenus très proches. Avec ces gens-là, on était allé observer des condors, tout en haut de la montagne et ils avaient un fusil, pour se protéger des pumas notamment. À la fin du morceau se trouve ce sample qui est un coup de feu, il a retenti hyper haut. La montagne était déserte, ça a fait une énorme déflagration. » Vivant au quotidien avec ces villageois, le partage est devenu si fort qu’il a commencé à donner des cours de français à ses amis volontaires pour apprendre quelques mots. « Au début de El Alba, on entend une fille qui venait frapper à ma porte à chaque fois. Et elle vient dire « bonjour Wiwi, ça va? » et Wiwi c’est mon surnom car elle ne savait pas prononcer William. »

Murga fait référence à une danse rythmée. Il se trouvait à Buenos Aires au tout début de son voyage. Intrigué par cette musique, il est descendu en vitesse pour l’enregistrer avec son téléphone. Le morceau Sal y tierra débute quant à lui avec un bruit de vent qui a été pris à l’endroit où il enregistrait le saxophone, au milieu d’un énorme lac de sel. « J’étais tout seul, perdu, la caravane bougeait. » Au fil de ses rencontres, les locaux lui ont offert des petits instruments, notamment un charango que l’on peut entendre sur Santa Barbara.

Son autonomie énergétique était grande, grâce à l’ensoleillement perpétuel du ciel argentin. Durant sa période de vadrouille, son van n’a eu besoin de jus qu’une fois, parce qu’il s’était garé à l’ombre. « J’avais une application sur mon téléphone qui me montrait la consommation et l’apport d’énergie en temps réel, ce qui me permettait d’adapter mon train de vie. Des fois, il m’arrivait d’oublier le truc, je me perdais dans le travail et à un moment donné ça pète, t’as plus de lumière, plus rien alors que t’es au milieu de nulle part. Dans ces cas-là, y a plus qu’à aller dormir, hein. C’est pas grave. T’as ton téléphone pour faire de la lumière et puis c’est tout. De toute façon, j’avais du gaz pour cuisiner. Mais ça, ça me faisait hyper marrer en fait, mais c’était le but. On me demandait « mais comment tu feras si t’as plus d’électricité ? » Bah je vais dormir, puis je vais bouffer, ça fait un break forcé mais c’est pas du tout un souci. Le lendemain, l’électricité est revenue avant toi, dès qu’il y a un peu de soleil. » Par contre, passé les 4500 m d’altitude, l’Airstream ne répondait plus de rien. Grâce à une assistance inespérée, il a pu décrocher la caravane de sa voiture pour la faire pivoter dans le sens inverse. Que d’imprévus!

Thylacine a pensé sa scénographie lui-même.
Thylacine a pensé sa scénographie lui-même.© Sandra Farrands

Autant dire que ce débrouillard de 26 ans était un peu épuisé ce samedi, alors que son concert au Botanique comptait parmi les premiers de la tournée. Mais c’est le jeu. « On sait pourquoi on part à l’autre bout du monde pour faire un album, dans une caravane de gitan, quand on reçoit un accueil pareil« , a-t-il lancé au public à la fin de son set intense et riche visuellement. Cette scénographie lui trottait dans la tête alors même qu’il n’était pas encore rentré. Pour rendre son projet complet, William Rezé cherche à mélanger toutes les images qui accompagnent sa musique. « J’ai repris les mesures de la caravane pour disposer un grand écran divisé en 6 parties. Ça me permet de réutiliser plein d’images que j’ai pu capturer là-bas, et qui sont visibles dans les clips. S’y retrouvent les images de l’Argentine, du Transsibérien et de War Dance (NdlR: un clip qu’il a tourné en Ukraine, témoignant de l’impact de la guerre sur les hommes). C’est un challenge que je me mets à chaque fois, pour illustrer mon fort rapport à l’image. » Le rendu lors de son set était esthétiquement superbe, immersif dans le fait que l’on puisse assister à un live électronique, ponctué d’envolées de saxophone, sur Volver ou encore de manière inattendue sur War Dance, tout en intégrant doublement le documentaire de son voyage et l’émotion qu’il a voulu véhiculer dans sa musique.

Son passé aux Beaux-Arts a notamment été mis à contribution pour le dessin de la table faisant support de ses machines. « Je suis trop content de cette table, c’est la première que j’aie dessinée. Elle est top. Ça a été un gros boulot pour créer un peu tout ça. C’est le processus qu’on met en route en ce moment, ça demande du taf, c’est assez exigeant. Quand tout sera bien huilé, ce ne sera que du plaisir. »

Taiseux sur la destination de Roads vol. 2, Thylacine parle d’un départ d’ici un an. « J’aimerais bien repartir rapidement, sans me lancer dans une destination de malade où il y a deux mois de cargo, trois semaines de douane comme j’ai pu le vivre en Argentine. Un peu plus tard, j’aimerais partir sur une grosse destination un peu loin, bien compliquée, toujours avec le van. Mais l’idée est de vadrouiller régulièrement pour continuer cette série de volumes Roads, que ce soit à travers des EP ou autre. J’ai pas mal de destinations en tête, mais je change beaucoup d’avis, donc je garde ça pour moi. Ce sera une surprise.

Propos recueillis par Sandra Farrands

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