Samir Barris, hors-saison

Dans Fin d'été, Samir Barris nous emmène sur une île bienveillante, à l'écart du chaos. © LYDIE NEVVABDA
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Devenu star auprès des gamins avec Ici Baba, le Bruxellois Samir Barris retrouve ses premières amours avec l’album Fin d’été. Un disque de chansons humble, au classicisme bienveillant, idéal pour sublimer la mélancolie.

Il n’a pas vraiment changé. Samir Barris a toujours cet air mi-rieur mi-songeur, de grand adolescent contemplatif. Sous le bras, son nouvel album, intitulé Fin d’été. Un disque de chansons, dans le sens le plus noble et classique du terme, rondes et boisées, lunaires et ludiques. Cet album, c’est surtout son premier en près de… dix ans. Entre-temps, le chanteur avait en effet quasi disparu des radars. Ou en tout cas de la ligne de mire de ceux qui ne sont pas devenus récemment parents… Car depuis 2010, Samir Barris, c’est d’abord Ici Baba, duo jeunesse formé avec Catherine De Biasio, ou encore l’excursion world Ba Ya Trio. Deux projets jeune public couronnés de succès, qui ont presque pu faire oublier que Samir Barris avait déjà bien tracé sa route auparavant: d’abord avec l’aventure pop Melon Galia (l’album devenu culte en francophonie Les embarras du quotidien, en 2001), puis en sortant deux premiers albums solos (Quel effet en 2006, Tenter l’atout en 2009).

Au départ, Ici Baba était d’ailleurs censé n’être qu’une parenthèse. « J’arrivais dans un monde que je ne connaissais pas du tout, avec quelque chose qui restait très bricolé. » Sauf que la formule a pris directement, de manière presque inespérée. Alors que ses disques solos peinaient à trouver leur public, Ici Baba se trouvait plébiscité un peu partout. « Cela correspondait aussi à une période de ma vie où j’avais de jeunes enfants. Je pouvais les emmener à mes concerts, ils comprenaient ce que je faisais (rires), c’était assez naturel. » Barris a pu ainsi s’épanouir dans le circuit jeune public, se promettant de revenir à sa disco perso quand ses propres enfants auront grandi. « Aujourd’hui, mes filles ont 9 et 13 ans. Mais entre-temps, un petit troisième est arrivé, du coup j’ai resigné pour dix ans (rires). »

Si Ici Baba continue, Samir Barris a décidé malgré tout de replonger dans la musique pour… Pour qui déjà? Pour adultes? « Si je dis ça, j’ai l’impression de refaire un truc un peu porno (rires)! Je préfère parler de musiques tous publics. » Ironie du sort: ce sont ses… filles qui l’ont remis sur les rails. « Quand elles allaient chez leurs grands-parents, elles se retrouvaient parfois à écouter mes albums solos – ce que je ne fais jamais chez moi. Tout à coup, je les entendais commencer à chanter mes chansons. Quelque part, ce sont elles qui m’ont réconcilié avec ce j’avais pu faire avant. » Apaisé, Samir Barris a pu alors s’y remettre, changeant à nouveau de costume, quitte à perturber les étiquettes. « Certains m’ont mis en garde. « Attention, tu risques de brouiller ton image… », ce genre de choses. Moi, j’avais envie de prouver qu’un musicien pouvait naviguer d’une sphère à l’autre. En fait, les plus grandes résistances sont venues des institutions, où l’on m’a fait comprendre qu’il valait peut-être mieux que je continue dans la chanson pour enfants. » Concrètement? Samir Barris remet plusieurs dossiers de subsides. Tous refusés. « Finalement, cela a redoublé mon envie de mener le projet jusqu’au bout… »

Samir Barris, Fin d'été, distr. Team4Action. En concert notamment le 14 octobre prochain, au festival Francofaune, à Bruxelles; le 18 janvier 2019, à la Ferme du Biéreau, à Louvain-la-Neuve.
Samir Barris, Fin d’été, distr. Team4Action. En concert notamment le 14 octobre prochain, au festival Francofaune, à Bruxelles; le 18 janvier 2019, à la Ferme du Biéreau, à Louvain-la-Neuve.

Le cercle des poètes

Le voici, donc, ce troisième album. Pour l’occasion, Samir Barris a beaucoup écrit. Enormément même. Assez en tout cas que pour se permettre de faire le tri et rassembler un corpus de morceaux cohérent. Une chanson a notamment donné le ton : le Septembre de Barbara, dont Fin d’été propose une reprise – la seule du disque. Le morceau résume bien le ton général, cédant volontiers à une certaine mélancolie, mais qui ne serait ni une tristesse, ni une amertume. « En vrai, je n’ai pas d’attirance particulière pour les musiques « déprimées ». Barbara? Personnellement, je ne trouve pas ses chansons spécialement « plombées ». Il y a toujours une certaine légèreté, elle n’appuie pas trop… Mais je veux bien admettre que c’est une question de sensibilité (sourire). Si la mélancolie m’intéresse, c’est moins comme une tristesse que comme un rapport au temps qui passe : ce qui a été, et qui ne sera plus. Ce qui peut mener éventuellement à un état de dépression mais aussi à une forme d’acceptation sereine. »

Pour illustrer ce propos, Samir Barris a notamment été piocher dans la poésie de Ronsard, Baudelaire, Verlaine, Hugo, Rutebeuf, ou encore Mallarmé. A côté de ces illustres, il a glissé ses propres mots. Avec modestie, mais aussi une certaine espièglerie. « Dans ce qu’on appelle la « chanson à texte », on se mouille beaucoup. On y met énormément d’émotions mais aussi d’intentions esthétiques. Quand les retours ne sont pas bons, cela peut vite vous donner le sentiment d’être incompris (sourire). En chantant des textes de poètes aussi inattaquables que Hugo ou Verlaine, c’est une manière de flouter les pistes, de piéger un peu l’auditeur (rires). » De fait, Samir Barris réussit à faire cohabiter sans que ça gêne, ses propres mots avec, par exemple, les rimes médiévales de Rutebeuf (Que sont mes amis devenus?).

Fin d’été peut ainsi donner encore un peu plus l’impression qu’il se fige dans des habits « classiques ». Ce que Samir Barris assume sans problème. « Je vois tout ce que peuvent apporter aujourd’hui le rap ou ce qu’on appelle la pop urbaine. Mais personnellement, j’ai vraiment l’impression que je fais de la chanson. Je sais que cela peut sonner parfois ringard, dit comme cela. Mais il n’y a plus grand-monde pour en faire aujourd’hui… » (sourire). Paradoxalement, ce n’est pourtant pas ce que le chanteur écoute le plus, privilégiant la world music, le jazz ou même le classique. Cela s’entend dans un album dont les mots prennent d’autant plus de poids qu’ils sont soutenus par une musicalité chaleureuse – ici, une contrebasse de fin de nuit (Brise marine), là, une harpe aérienne (Que sont mes amis devenus ?). Et l’impression de tenir un disque non pas anachronique, mais un peu hors du temps, voire hors du monde. Comme une île bienveillante, à l’écart du chaos. « Je me pose souvent la question: qu’est-ce que je veux apporter avec ma musique? Cette bulle, c’est un peu ma contribution. J’ai le sentiment qu’on vit déjà dans un monde saturé d’influx et d’informations. Je n’avais pas envie d’ajouter mon commentaire à ce fil sans fin. Je préfère proposer quelque chose qui tient davantage de l’introspection ou de la contemplation. Cela me semble avoir sa place. »

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