Raphael change de refrain

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« Pacific 231 », son cinquième album, brise l’enveloppe des mortelles mélancolies et rend un hommage chargé de sécrétions rock à Bashung. Preuve que le Peter Pan de la mélodie est un chercheur d’or qui ne craint pas les ruptures.

Dans la pièce blanche, il a posé son sac noir. Deuxième rencontre et même vision: visage plastique d’ado éternel, chemise entrebâillée sur torse glabre, nez aquilin, peau à peine tannée. Dix centimètres de plus et Raphael Haroche, 35 ans, aurait fait un Dieu grec très acceptable. Raccord possible à la traduction de son prénom, « Dieu guérit » en hébreu.

Mais cette allure apte à donner de la tachycardie aux minettes et aux mâles homo-érotisés n’a pas que des avantages: une partie de la presse sérieuse (Focus compris) considère encore Raphael comme « chanteur léger ». Traduisez: de variété. Alors qu’en cinq albums, il s’est imposé en digne héritier de la trilogie sacrée Bashung/Manset/Christophe, quintessence d’une France frondeuse et émancipée.

Là encore, le diagnostic est plus complexe: après tout, l’éphèbe est un Bowiephile qui a travaillé avec Mike Garson, pianiste historique de La Dame, et qui s’offre maintenant les services du guitariste Adrian Belew, autre virtuose entendu chez Talking Heads, King Crimson et le même Bowie. Sans pour autant jouer le casting poudre aux yeux, Pacific 231, produit par Raphael himself, livre une musique parfaitement sinueuse et limpide, tout en s’essayant à une forme de dissidence sonore. En mathématiques, cela s’appelle un rébus…

Série B

B comme Bashung, belle ombre qui plane sur Pacific et transporte même quelques illusions sémantiques. Dans Je détruis tout, Raphael chante: « Faut pas me laisser le soir », écho au Gaby de Bashung qui pleurait « Tu devrais pas me laisser la nuit ». Ou encore Prochaine station, aux accents communs avec La nuit je mens du même Alain: « Les mots, ce n’est sans doute pas conscient (sourire) mais j’avais travaillé avec Bashung sur le projet de Bleu pétrole sans pouvoir lui donner quelque chose de digne (sic). Je n’avais pas été à la hauteur et m’étais juré de revenir avec des éléments pour lui plaire ».

La mort, imprévisible notoire, renvoie les projets bashungiens de Raphael à son auteur, qui les digère alors en rêvant de briser son image de « chanteur de charme ». « Je préfère Dean Martin à Sonic Youth (sourire) mais il est vrai que j’avais envie de casser quelque chose de mon image, envie d’un disque plus radical. Mes copains d’adolescence me disaient d’arrêter de faire Le Péruvien, allusion aux cordes pleureuses de la guitare latino, le charango. J’adore Aline de Christophe et l’expérimental: mes parents, qui n’aimaient que le classique et le jazz, m’ont transmis l’amour de Bach et de Charlie Mingus, et aujourd’hui, mon absolu est représenté par Glenn Gould jouant Bach, Chet Baker ou Nina Simone ».

Esthétiquement, ce télescopage des genres et les gènes d’une famille juive aux racines éclatées (russe, marocaine, argentine) a fait, si l’on peut dire, un merveilleux bâtard. Un trentenaire avalant les décalages parfois secs du son, corruptions du mouvement tels que Locomotive où sur un texte d’Annegarn (autre mousquetaire du verbe), Raphael consume de l’anthracite rock pioché jusqu’à l’extase.

Pas patriote

L’un des moments de rupture est hors mélodie, lorsque, dans Le Patriote, Raphael botte en touche l’inutile nationalisme qui engraisse les peuples. Il chante: « La France, parfois ça me déprime… L’ordre moral est bien partout, la démago, de gauche à droite (…) les Français sont désolants, le débat est captivant ». Mais encore? « L’idée de départ était de parler du manque de liberté d’aujourd’hui, de parler de l’époque où, de Dutronc à Polac, on pouvait facilement sortir du cadre. Cette chanson n’est ni de gauche, ni de droite mais profondément anar. Le patriotisme est, simplement, quelque chose que je ne comprends pas ».

Notre apprenti-Bakounine refuse le militantisme (« je n’ai jamais participé à une manif de ma vie, ou presque… ») et a le goût des textes engagés, même si « la politique participe moins à la destinée des hommes que l’art ».

Versailles est un autre titre impliqué, où le chanteur remet un peu d’huile spleen dans le carburateur à chansons, rendant la sensation de vertige qui saisit les dépouillés de la vie. « C’est inspiré du film où Guillaume Depardieu joue un marginal qui vit dans les bois avec son enfant, et aussi de La Route, qui raconte un monde apocalyptique vécu par un père et son fils. » Les mots instaurent un mix de verbal organique et de sensations visuelles.

Raphael raconte combien sa tournée solo de début 2010, « inspirée des expériences de Joseph Arthur et John Frusciante », lui a appris, seul en scène, entre guitares et machines, à libérer sa voix et ses instincts. Pleinement conscient de son talent (même s’il n’a pas la forfanterie de le souligner), oui, il aimerait laisser une trace, bluffé par Nina Simone ou « Brel, rentré dans l’histoire, comme Francis Bacon ». Faire une grande chanson, il l’a sans doute réussi avec Et dans 150 ans. A l’instant, il est content de cet album, refusant les pronostics de vente: « Si je voulais un disque extrêmement populaire, je n’aurais pas fait celui-là, mais tu sais l’année où L’homme à tête de chou de Gainsbourg est sorti, il a dû en vendre 25.000 alors que Daniel Guichard a dû dépasser le million. On sait lequel des deux est devenu une référence ».

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Raphael commente quatre chansons pour nos confrères de LExpress.fr.

Raphaël, Pacific 231 , distribué par EMI.
En concert le 10 novembre à l’Ancienne Belgique (Bruxelles).

Philippe Cornet

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