Laurent Raphaël

Prince, Stones, Velvet Underground…: rock en vitrine

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

On prend les paris. D’ici un an à tout casser, quelque part dans le monde, et de préférence à Minneapolis, un musée sera entièrement dédié à la musique et à la garde-robe exubérante de Prince.

A moins que le kid ne soit l’objet d’une fastueuse expo itinérante qui fera escale dans quelques capitales triées sur le volet. Pas sous un chapiteau sans allure relégué dans la banlieue: non, dans l’un de ces bâtiments prestigieux du centre-ville plus habitués d’ordinaire à accueillir des peintures à l’huile et des sculptures en marbre que des guitares et des photos sous toutes les coutures d’ex-mauvais garçons.

Car Prince ne serait pas le premier chanteur à se retrouver dans des vitrines. Et pas le pire pour ce qui est de la longueur du casier judiciaire ou du taux de soufre dans le sang. Depuis que David Bowie a fait salles combles, non pour des concerts mais pour un road show de ses identités multiples, de ses tenues avant-gardistes et de ses effets personnels, les rois de la pop et du rock ont droit les uns après les autres à leur petite mise en bière ante ou post-mortem. Rien qu’en ce moment, Londres présente les reliques non des pharaons mais du glorieux passé des Rolling Stones tandis que Paris regonfle le blason d’une autre tribu, encore plus vénéneuse, qui sévissait à la même période préhistorique du rock, le Velvet Underground. Plus de 500 objets de première main (photos, instruments, lettres, pochettes…) à la très branchée Saatchi Gallery d’un côté, des films, des souvenirs, des témoignages, des images de Lou Reed et sa bande adoubée par Warhol à la Philharmonie de l’autre.

Si quelqu’un avait pronostiqué dans les années 60 que ces deux formations placées sur liste rouge par les hautes autorités morales finiraient un jour entre les murs des temples de la Culture avec un grand c, personne ne l’aurait cru. Entrer au musée a été longtemps réservé aux arts plastiques, et encore seulement à ses représentants les moins déviants -les surréalistes n’ont pas tout de suite été les bienvenus dans les palais des Beaux-Arts. On peut y voir une forme d’anoblissement symbolique, de reconnaissance que l’oeuvre présentée sous les ors de la République ou de la Royauté fait partie du patrimoine. Et que son « message » ne menace pas la paix des ménages et des esprits.

Indépendamment de la qualité des scénographies et de l’intérêt des pièces exposées se pose la question de l’impact sur la crédibilité de ces artistes à se laisser ainsi muséifier. Quand on devient l’équivalent postmoderne de la Joconde et qu’on rameute des cars de touristes affamés de selfies, on peut difficilement encore prétendre incarner la voix de la subversion. Sinon pour la forme. Or cette subversion était le carburant principal de ces groupes qui ont largement contribué à l’émancipation de la jeunesse de l’époque avec leurs paroles « sexplicites » ou incitant carrément à la révolte. Et à ce titre participé activement à la mutation de nos sociétés au cours du dernier demi-siècle. On peut soit considérer qu’ils ont accompli leur mission puisqu’ils sont désormais persona grata, et leurs idées avec eux, dans les lieux de pouvoir, soit au contraire en déduire qu’ils se sont fait berner et désarmer en échange d’une promesse -tenue certes- d’amour, gloire et beauté. Suivant son vécu et sa sensibilité, chacun aura sa petite idée sur la question.

A notre u0026#xE9;poque ou0026#xF9; mu0026#xEA;me le street art a ses entru0026#xE9;es chez Christie’s, on ne sait jamais si derriu0026#xE8;re les apparences de la colu0026#xE8;re ne se cache pas un plan de com lubrifiu0026#xE9; au cynisme…

Ce qui est sûr, c’est que la récupération ne connaît plus de limites. Le comble de l’ironie est atteint avec les manifestations officielles organisées à l’occasion des 40 ans du punk outre-Manche, ce mouvement qui vomissait l’autorité sous toutes ses formes et promettait à son prochain un futur apocalyptique. Et voilà que quatre décennies plus tard à peine, ce cri de désespoir s’est transformé en folklore inoffensif. La coupe (iroquois) est d’ailleurs pleine pour l’héritier du trône punk -le fils à Malcolm McLaren et Vivienne Westwood- qui menace de brûler les bijoux de famille si on continue à trahir le discours de contestation original. Mais ne s’agit-il pas d’un coup de pub de celui qui est aussi le patron de la marque de lingerie Agent Provocateur? A notre époque où même le street art a ses entrées chez Christie’s, on ne sait jamais si derrière les apparences de la colère ne se cache pas un plan de com lubrifié au cynisme…

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