Palais des glaces: entretien avec Rover, qui sort un lumineux Eiskeller

Timothée Régnier, âme solitaire de Rover © Claude Gassian
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec Eiskeller, Rover sort un troisième album lumineux, enregistré en ermite dans le froid des anciennes glacières de Saint-Gilles.

Joint par Zoom, Rover est assis dans le coin d’une loge. En résidence, quelque part en Normandie, il prépare ses prochains concerts. Enfin. « À un moment, on a besoin de sortir de la grotte, rouvrir les fenêtres et retrouver le soleil. Ce qui est à la fois grisant, et en même temps un peu stressant. » C’est toujours un peu comme ça, quand vous remontez à la surface: cela pique aux yeux, le temps de se réhabituer à la lumière. Quelques jours avant, Rover était l’un des invités de l’émission de Laurent Ruquier On est en direct, sur France 2 -« une expérience un peu traumatisante » (rires). « Je vous préviens, vous allez être surpris« , avait annoncé l’animateur aux téléspectateurs, pendant que le chanteur se mettait en place pour chanter. « Je n’ai toujours pas bien saisi ce qu’il a voulu dire. J’avais un peu l’impression de passer pour une bête curieuse, genre vous ne serez pas déçus, c’est bizarre (rires). Soit. J’y suis habitué. À la limite, ça attise une forme de curiosité, c’est pas plus mal. »

Chasseur de fantômes

Bizarre, Rover? Atypique, probablement. À part sur la scène rock hexagonale, il est un classiciste, fidèle à la Trinité Beatles-Beach Boys-Dylan. De ces fondamentaux, il a tiré sa propre langue. Romantique et élégante sur un premier album éponyme en 2012; baroque et sinueuse sur Let It Glow, en 2015. Sur le nouveau Eiskeller, elle se fait lumineuse et transperçante. Son ambiance est particulière. Le lieu qui l’a vu naître aussi. Pour concevoir son troisième album, Timothée Régnier, de son vrai nom, a ramené sa carcasse de rugbyman dans les anciennes glacières de Saint-Gilles, à Bruxelles. Pendant quatorze mois, il y a oeuvré seul, presque en ermite. « Enregistrer dans un vrai studio est très confortable. Mais on est vite flatté par le son, toute la technologie qui va avec. J’avais envie de quelque chose de plus artisanal, de plus brut. » Rover va être servi…

Quand il découvre les anciens entrepôts, un seul atelier est encore disponible. « Un immense espace de 250-300 mètres carrés, sous 8 mètres de plafond. Je me suis vite rendu compte que l’acoustique allait être compliquée… » Le musicien, pourtant, est intrigué par l’endroit. Il ramène ses instruments et tout son matériel, dans ce qui va devenir sa grotte. « C’est un lieu très froid -8 degrés toute l’année-, avec seulement deux prises, sans eau, ni téléphone ni possibilité de capter Internet. Il m’a fallu six mois pour l’apprivoiser. Et comprendre aussi pourquoi je me retrouvais là… »

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Précisément, que recherche Rover? Les deux ou trois visiteurs qui passent une tête ne comprennent pas: « Ils trouvaient le lieu glauque et inintéressant. » Pourquoi alors avoir choisi un espace aussi inconfortable? « Honnêtement, je ne sais toujours pas… Ce sont d’abord les chansons qui appellent ça. Ce sont elles qui m’ont donné la confiance de me jeter à l’eau. Sans elles, je n’aurais jamais tenu. »

L’ambition est de retrouver un contact direct avec la matière sonore, de se « débarrasser de ses réflexes, de se déloger un peu« . Comme son grand-père qui « confectionnait lui-même ses outils« , Rover commence par soigner ses guitares, mettre les mains dans les amplis, étudier des manuels qu’il ne comprend pas, etc. Il s’impose aussi une certaine discipline et des rituels, rejoignant sa tanière tous les jours à vélo. « Je me souviens être tombé sur un docu consacré à Miyazaki (le réalisateur et cofondateur du studio Ghibli, NDLR). On le voyait arriver au bureau, et exécuter chaque matin les mêmes gestes. Je trouvais cette routine fascinante. Je me suis dit que je devais m’imposer quelque chose du même ordre. Au début, j’ai dû un peu me forcer. Mais ça m’a énormément apporté. En structurant mon travail, je pouvais reprendre plus facilement le fil de la veille. Je zappais aussi plus vite les questions qui n’ont souvent pas de réponse, et qui sont juste des manières de faire des pauses, de calmer la machine. »

Palais des glaces: entretien avec Rover, qui sort un lumineux Eiskeller

Rover aménage l’espace, tant bien que mal. Dans un coin, il pose des panneaux en toile de jute « puant la clope« , surmontés d’une couverture tenue par des pieds de micro: le montage lui servira à enregistrer la batterie, plié en deux, une main tendue pour appuyer sur la touche REC. « Dès que j’arrivais à capter un son qui me plaisait, c’était champagne! (rires) Quitte à ce que le résultat soit un peu étrange. En studio, c’est très dur de faire des sons bizarres, d’attraper des fantômes. À la glacière, par contre, ça n’était que ça.« 

Ces « fantômes », on en retrouve encore quelques-uns dans la version finale de Eiskeller -la « cave à glace », en allemand, comme indiqué sur le porte-clé du local. Ce sont parfois des petits bruits à peine perceptibles -« celui du proprio, un excentrique génial, qui se baladait partout en conduisant une sorte de pelleteuse, faisant résonner les tuyaux de la pièce« . C’est aussi un son de caisse claire particulier, une manière de chanter unique. Comme sur Cold and Tired, par exemple, trituré au vocoder. « Au départ, ce titre est enregistré avec un vieil enregistreur quatre pistes. Mais pour la voix, j’ai utilisé le micro de mon iPhone, et une appli gratuite qui donnait une sorte d’effet autotune, et dans lequel s’est retrouvée aussi la partie de piano. En réécoutant le tout, j’étais bouleversé. Je ne reconnaissais plus ma voix. »

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Un mélange d’ancien et de moderne qui prouve aussi que la démarche -radicale- n’est pas forcément réactionnaire. Comme sur le clip du single To This Tree, réalisé par Benny Vandendriessche, et qui pioche dans l’univers du jeu Minecraft. « Honnêtement, je n’y connais rien, j’étais un peu déboussolé. Mais je trouve le résultat épatant. Il a réussi à faire cohabiter deux mondes, le numérique et le plastique, en créant malgré tout une émotion. » Puisqu’au fond, c’est bien de cela qu’il est question au final. « On ne fait pas des disques pour enregistrer le plus beau, on le fait pour graver ce qu’il y a de plus beau. Ce que je veux dire, c’est que je ne suis qu’un acteur du truc. En soi, ce n’est pas très passionnant qui je suis. Par contre, ce que je fais -l’accumulation de gestes, de combinaisons, d’instruments-, peut éventuellement le devenir… »

Rover, Eiskeller, distribué par Pias. ****

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