Nuits Bota: Woodkid, sans langue de bois

Woodkid © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Aux Nuits, Yoann Lemoine remplissait le Cirque Royal accompagné du Mons Orchestra. Rencontre avec un jeune trentenaire qui ne fait pas dans la demi-mesure.

Avec votre album, The Golden Age, vous voulez donner à l’auditeur l’impression d’être le héros d’un péplum. C’est une réaction à notre époque morose?

L’idée était surtout de rendre hommage aux films que j’aime. De composer une musique assez cinématographique. Avec des références assez larges qui vont de Spielberg à Kubrick en passant par Tarkovski et Resnais. Tous les grands réalisateurs qui ont bercé mon enfance. Des films d’image. Des films avec du souffle. 2001 Odyssée de l’espace, L’année dernière à Marienbad, Indiana Jones et tous les classiques que Spielberg a signés dans chaque genre auquel il a touché. Le cinéma de Gus Van Sant et de Wes Anderson aussi. Les musiques m’ont moins marqué. Après, il y a des compositeurs comme Badalamenti, Philip Glass, John Williams, John Brion, Steve Jablonsky (Steamboy), Nobuo Uematsu…

Etes-vous quelqu’un d’ambitieux?

J’ai l’impression que c’est ce que les gens veulent m’entendre dire. Alors, oui, je suis extrêmement ambitieux, prétentieux. Je suis le meilleur. Sous prétexte qu’il y a un orchestre, c’est ce qu’on entend dans ma musique. Je suis juste amoureux de cinéma, de certaines bandes originales et harmonies. Et ces harmonies, je ne vais pas les briser juste pour plaire et être dans la retenue. Ma seule prétention est de faire des choses que je trouve belles. Parce que c’est une notion très individuelle. Ça soulagerait peut-être beaucoup de monde que je sois un gros connard, imbu de lui-même qui veut dominer le monde. Mais je me pose une question. Existe-t-il une police de la musique qui fixe des limites à ne pas dépasser? Faudra me montrer les lois alors. Il serait dommage de les enfreindre. Parce que la musique, elle doit entrer dans des boîtes en plastique à la FNAC. Moi, je ne m’impose aucune règle, aucune limite. Si je dis quelque chose, je le dis complètement. Pas à demi-mesure en m’excusant pour me fondre dans la masse.

Est-ce compliqué de rester sincère avec les émotions quand on joue la carte de la grandiloquence et de l’emphase?

L’émotion va nécessairement de pair avec une petite guitare folk qui pleurniche? En quoi le souffle la dessert? L’émotion, on peut la trouver partout. Des mecs en décèlent dans un cadavre. Pourquoi pas? Moi, je suis ému par des peintures classiques qui peuvent avoir ce côté très pompier, très figé, dans un désir de maîtrise technique. Comme dans des oeuvres très minimales. Dans des photos vintage en polaroïds. Parce que c’est là que tout le monde semble trouver de l’émotion aujourd’hui. Il y a un formatage de l’émotion, de l’idée de l’émotion qui ne veut pas dire grand-chose. Il en existe des millions des émotions à générer avec la musique. C’est un truc que j’ai compris en écoutant Philip Glass. Glass ne fait pas dans le cliché. Il joue avec des émotions étranges qui nous emmènent vers des territoires inconnus. Moi, j’ai tenté la quête de l’émotion par une espèce de violence douce. Une violence très sucrée, très romantique.

Que vous a appris Lana Del Rey pour qui vous avez réalisé quelques clips?

Avec elle, j’ai appris à ne pas trop me montrer. Et j’ai compris que ça pouvait très vite se retourner contre toi d’être une fille dans l’industrie du disque. Lana a fait l’objet d’attaques qui n’avaient pas le moindre lien avec sa musique. Pour l’instant, j’ai la chance de ne pas y être confronté. Une fille est d’office en partie jugée sur son physique. J’ai aussi appris grâce à Lana à ne pas trop me précipiter. Son album est arrivé trop vite.

Le vôtre a dû coûter cher pour un premier disque…

J’ai commencé sans un rond. Le fric investi dans ce disque, c’est du fric que j’ai généré avec le projet lui-même. Grâce à Iron, à son utilisation dans une pub et au fait qu’il a été beaucoup vendu. 280.000 fois. Plutôt que de garder ce pognon, de le mettre sur un compte, de me payer de la coke et des putes, j’ai réinvesti cet argent dans l’EP, dans l’album, dans le live, dans le clip suivant. C’était important pour moi que l’argent généré par ce projet le lui rende.

Vous êtes fan d’Antony and the Johnsons?

J’aime bien. Mais les comparaisons sont vraiment exagérées et pas très flatteuses pour lui. Je n’aurai jamais une voix pareille. Plus qu’Antony, c’est Rufus Wainwright qui m’a profondément marqué. Son écriture, sa relation au père, à l’homosexualité, sa désillusion de l’âge adulte, sa manière d’envoyer les gens se faire foutre. Mon disque, c’est un énorme Fuck You. C’est même plus que ça. C’est un double fist-fucking. Maintenant tu as l’explication des clés tatouées sur mes avant-bras.

Woodkid, The Golden Age, chez Universal. ****

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content