Niska, la fureur de vivre

Le succès est arrivé, mais le discours reste inchangé: Niska cause toujours du quartier. "Aujourd'hui, je ne suis peut-être plus autant dans la street, mais elle est toujours en moi." © KORIA
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec son troisième album, Niska continue de balancer un rap à la fois cru et pop, vulgaire et bouffon. Succès assuré.

Niska jubile. Dans un coin du studio de Tarmac, le média « urbain » de la RTBF, il a couché le disque d’or sur un canapé. « Il faut que j’envoie une photo à la daronne! » , se marre-t-il. La maman du rappeur sera rassurée: une semaine à peine après sa sortie, le nouvel album de son fils, intitulé Mr Sal, explose les ventes, en Belgique, comme à peu près partout ailleurs en francophonie…

Pouvait-il d’ailleurs en être autrement? Ces derniers mois, Niska est partout. Y compris là où on ne l’attend pas. En poster dans le métro, sur l’antenne de France Inter ou le plateau du JT de RTL. Son rap poissard n’a pourtant pas changé, ses vulgarités à peine planquées derrière l’argot de banlieusard. Mais l’art du gimmick qui tue, son bagout, sa vista pop sont plus forts que tout. Une vraie machine de guerre. En France, son album précédent, Commando, est devenu un vrai blockbuster (600.000 exemplaires écoulés). Difficile d’encore nier le phénomène… Les médias généralistes l’invitent désormais aux heures de grande écoute -générant au passage, comme souvent avec le rap à la télé, quelques moments gênants. Lui, visiblement, s’en fiche. Il fait à peine semblant de s’adapter à son nouvel auditoire. Niska a beau n’avoir que 25 ans, il a déjà compris que le succès est un animal capricieux. Alors il fonce. Stanislas Dinga Pinto, de son vrai nom, va au charbon, enquille les interviews à un rythme soutenu. « On ne va pas se plaindre. De quoi d’ailleurs? Pourquoi je râlerais? Au contraire, ça me sert, j’en ai besoin. »

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C’est en 2015 que le rappeur de l’Essonne décoche sa première flèche. Il est encore aux études (d’éducateur spécialisé) quand son « freestyle PSG » commence à accumuler les vues sur YouTube. Le morceau cite notamment le joueur Blaise Matuidi. Dans la foulée, le milieu de terrain international finit par célébrer ses buts en reprenant la micro-chorégraphie du clip. Banco. Quelques mois plus tard, Niska se retrouve à côté de Maître Gims sur le tube Sapés comme jamais. Le décollage est confirmé. À ce moment-là, c’est d’ailleurs toute la scène rap française qui bascule. Tout à coup, le genre, longtemps méprisé, force les portes du succès grand public. Il devient la musique dominante. Et Niska est aux premières loges pour assister au changement de paradigme. « En vrai, il n’y a jamais eu autant de rappeurs qu’aujourd’hui. Dans le quartier, tu en trouves cinq par bâtiment, y en a trop, sérieux (rires). Il y a dix ans, quand j’ai commencé, ce n’était pas comme ça. C’était la honte d’être un rappeur. C’était celui qui raconte ce qui se passe en bas, le narrateur, le griot, un type un peu à part. Mais les choses ont changé. Avant même les médias, la rue a fini par s’ouvrir. Les filles, notamment, écoutent beaucoup plus de rap aujourd’hui. » Parce que la musique n’est plus la même? « Oui, le rap a muté. Avant, c’était assez linéaire, littéraire, il fallait aligner les punchlines, etc. On travaillait beaucoup le fond. Alors qu’aujourd’hui, l’accent est surtout mis sur la forme. Et ça, ça attire les gens: pas besoin de se casser la tête, de comprendre les rimes, ou de savoir décrypter l’alexandrin, etc. Non, c’est là, ça vous enjaille, vas-y, frère! »

Lui-même a commencé « old school », à peaufiner ses barres de 16, avant de monter dans le train de ce qu’on a baptisé la trap: plus besoin de grand discours sociétal, le flow se fait minimaliste, haché, découpé. « En France, la trap arrive en 2012, 2013 avec Kaaris. Il ramène ça des États-Unis: tous les trucs à la Juicy J, dans lesquels j’étais à fond à l’époque. C’était déjà ça mon kif. Alors quand il a ouvert la porte, j’ai foncé. C’était une musique qui correspondait à mon style de vie. » Mais encore? « Pour moi, la différence entre le rap et ce que les gens vont appeler la trap peut se résumer comme ça: d’un côté, il y a le mec qui observe et rapporte ce qui se passe dans la cité, tandis que de l’autre, ce sont les acteurs mêmes qui racontent ce qu’ils font! Ces mecs-là n’ont pas spécialement un niveau, ils balancent juste leurs histoires à leur façon, en racontant parfois n’importe quoi, mais avec une attitude. »

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Poids lourds

Exemple en 2017. Niska sort le single Réseaux, « posé, sous Jack (Daniels, NDLR), dans le bendo (quartier, NDLR) « . Derrière le débit cartoonesque, c’est sexe, drogue et grosse bagnole. Les parents tiquent, mais les gamins kiffent. Ce n’est plus be-bop-a-lula, ou Da Doo Ron Ron, mais pouloulou, repris en boucle dans les cours des lycées. Au fond, l’effet est le même. Niska triomphe.

Au point d’attirer l’attention des cadors internationaux. Début d’année, le Français s’est ainsi retrouvé sur un titre de Diplo, Boom Bye Bye. Le discours y reste inchangé: il est toujours question du quartier. Mais bizarrement, le ton est un peu différent, plus mélancolique, (presque) intime. « Clairement. C’est la production qui amène ça. Après, chaque chose en son temps. Je n’ai que 25 ans. Si je commence déjà à être plus personnel, qu’est-ce que je vais raconter quand j’en aurai 30? C’est la vérité! Je sais qu’à un moment donné dans ma carrière, il faudra faire un album plus profond, où je prendrai la peine de re-rapper à l’ancienne. Mais là, c’est n’est pas le moment. Je ne suis pas dans ce mood-là. Je suis encore dans ma jeunesse, encore speed! »

« J’ai vite cerné ce que les gens aiment chez moi. En gros, le côté street, second degré, un peu gogol. »© Getty Images

De fait, Mr Sal affine la recette, mais ne la change pas: avec ce troisième album, Niska a préféré bétonner et assurer la prise. Il ne devrait ainsi pas avoir trop de souci à faire fructifier son milliard trois cent millions de vues accumulées sur YouTube… « J’ai vite cerné ce que les gens aiment chez moi. En gros, le côté street, second degré, un peu gogol. » Le rappeur ne calcule rien, mais réfléchit à tout. Bien décidé à confirmer, il insiste, attentif à ne pas louper les dernières tendances. Pour cela, il s’assure le concours de quelques poids lourds (Booba, Ninho ou le jeune Koba LaD). Glisse l’une ou l’autre touche afro -« même si contrairement à ce qu’on dit souvent, je ne fais pas de l’afro: j’ai commencé à rapper sur du Mobb Deep, pas sur du Magic System« . Ou surfe sur la Dutch Touch, en allant chercher le producteur hollandais Dopebwoy pour le morceau Stop, calibré pour les clubs. « À force de l’entendre en boîte, je me suis dit que je devais le rencontrer. Mais je ne savais même pas à quoi il ressemblait! L’histoire, c’est qu’on m’a organisé un séminaire en Hollande: le son, là-bas, pour l’instant, c’est de la frappe, ils fracassent tout, il fallait que j’aille sur place. Pendant plusieurs jours, les mecs ont donc défilé en studio, les uns après les autres. Mais en vrai, je ne les connaissais pas, je ne savais pas qui ils étaient. C’est par après que je me suis rendu compte que le mec du lundi, par exemple, c’était Dopebwoy! (rires) Mais je n’ai pas fini avec ce gars, il est trop fort, j’ai entendu trop de trucs zinzin dans son ordi. Le plus drôle, c’est quand tu discutes avec Dopebwoy, il t’explique qu’en fait, il s’inspire de… nous, de ce qui se passe sur la scène française! » (rires). United colors of Europe…

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Mais si la couleur varie (un peu), dans tous les cas, Niska ne s’éloigne jamais beaucoup des bâtiments et des rues qui l’ont vu grandir. Originaire du Congo-Brazzaville, il a grandi à Evry, banlieue sud « sensible » de Paris, dans la cité du Champtier du Coq. C’est là qu’il a noyé son ennui, traîné en bande, magouillé et traficoté de l’illégal. C’est là aussi qu’il est devenu une première fois père, à seize ans. Aujourd’hui, il y a ouvert son propre restaurant de burgers. Récemment, c’est là encore qu’il a délocalisé son Planète Rap, émission radio de Skyrock devenue incontournable pour tout lancement d’album important.

Dès le premier morceau, Vrai, le quartier est encore présent, cité dans les premières lignes . « Être authentique, c’est essentiel. Faire ce que tu kiffes, rester fidèle à toi-même, c’est ce qui fait la différence aujourd’hui. » Même si le rap n’hésite jamais à grossir le trait, Niska étant le premier à appuyer ses effets? « On exagère certaines choses, mais on ne ment pas pour autant. Peut-être que tu es un vendeur d’une barrette de dix. Mais dans ton clip, t’auras carrément une plaquette en main (rires). Dans tous les cas, ça reste vrai, tu vends du shit. Tu as juste un peu extrapolé, rajouté du décor. »

Niska, la fureur de vivre

Aujourd’hui, Niska a beau s’être mis financièrement à l’abri, lui et sa famille, il continue donc à rapper la galère, ses histoires de gangs, de violence, et de drogues. Comme si, malgré le succès, le décor ne s’était pas vraiment métamorphosé. « Aujourd’hui, je ne suis peut-être plus autant dans la street, mais elle est toujours en moi. Ça ne part pas -à moins que tu ne joues un rôle. Pour le dire autrement, un blédard qui arrive en France reste un blédard, par exemple. Même s’il s’adapte, il aura toujours ce truc qui fera qu’il se fera directement repérer. Nous, c’est pareil. Quand j’arrive à Paris, je suis un blédard, moi. »

La rue, encore et toujours

Rester « vrai » est-il seulement possible quand on a acquis la notoriété de Niska? Est-ce même souhaitable? Ne faut-il pas à un moment se protéger derrière un masque? Ces derniers mois, le rappeur n’a ainsi pas pu éviter les polémiques, chauffées à blanc sur les réseaux sociaux (notamment sur sa situation sentimentalo-conjugale, visiblement « compliquée »). Comment tenir le cap quand on est en permanence sous les projecteurs? Interviewé récemment, le vétéran Oxmo Puccino conseillait par exemple de quitter la cité dès que le succès arrivait, afin d’éviter les jalousies et les fantasmes suscités par la réussite. « Je comprends ce qu’il dit. Moi aussi, dans les premières années, quand la lumière est arrivée dans le 91, ce n’était pas évident. Mais depuis, les réussites se sont multipliées. Rien que chez nous, en quatre ans, il y a eu Ninho, Koba, ou PNL. Le succès paraît moins inaccessible. On ne parle plus d’un cas isolé, d’un mec un peu chanceux, auquel il faut tout prendre. »

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Le succès se serait donc « démocratisé »? À voir… Sur le morceau Méchant, Niska se permet en tout cas d’affirmer haut et fort: « Millions de vues n’ont pas changé ma vie ». À quoi sert-il alors? A fortiori quand on vient d’un endroit où l’ascenseur social semble bloqué? « Le problème, ce n’est pas la cité en soi. C’est de rester dans un lieu, et d’être convaincu que tu ne peux pas en sortir. C’est un peu comme la prison. Quand tu n’as plus que quinze jours jours à tirer, et que tu croises des gars qui ont pris dix piges, tu n’as pas la même perception des choses. Toi, tu vas faire tes deux semaines sur un pied! (rires) Aujourd’hui, je peux revenir dans mon quartier, parce que je sais que je peux en… repartir. Au bout du compte, c’est là que je me sens chez moi. »

Nouvelle star incontournable, Niska est l’exemple le plus spectaculaire de la manière dont le rap, y compris le plus cru, s’est glissé dans le panier de la ménagère. Il est devenu l’un des plus gros vendeurs de disques français, et sa réussite titille jusqu’à l’international (le Guardian lui a récemment consacré un portrait). Mais malgré ça, le jeune homme de 25 ans continue donc de cultiver son attachement à ses racines. Comme si rien n’avait vraiment bougé… « Si, évidemment que le succès a changé des choses, tu comprends… Mais d’un autre côté, je suis toujours avec les mêmes gars. Puis, il y a des choses dans lesquelles je ne préfère pas trop rentrer, mais, en gros, je continue à traîner certaines galères d’avant. Il y a des choses qui restent problématiques. Ne pense pas que tu passes tout à coup dans un autre monde (rires). Demain, si ta mère est malade, par exemple, ce n’est pas les millions de streams qui vont y changer quoi que ce soit. »

Niska, Mr Sal, distribué par Universal. ***

Le 31/12, à la FCKNYE, Palais 12, Bruxelles.

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