Les pionnières (7/8): Lizzy Mercier Descloux, icône de la world music

Regard frondeur, frange sauvage, la figure de l'artiste culte maudite.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Figure de l’underground new-yorkais, héroïne no wave, Lizzy Mercier Descloux a été l’une des premières à inaugurer le concept de world music, avant même que le terme existe.

L’une de ses rares apparitions télévisées est visible sur le Net. On est en 1979. Lizzy Mercier Descloux est invitée sur le plateau de Midi première, sur TF1. Ce jour-là, Danièle Gilbert accueille Serge Gainsbourg. Les deux papotent encore, quand le play-back de Fire démarre. Lizzy Mercier Descloux doit déplacer elle-même le tabouret pour pouvoir commencer à bouger sur la musique. Dans son ensemble noir et blanc, elle a le regard frondeur, et la frange sauvage, dansant frénétiquement. La chanson est à peine terminée que Gainsbourg revient au centre du plateau. La jeune punk androgyne et le vieux briscard se percutent presque. Sans échanger un seul regard.

Cinq ans plus tard, toujours sur TF1, Lizzy Mercier Descloux se retrouve cette fois au générique de Passeport pour la forme, présenté cette fois par Sydney. Sur une plage du Sénégal, elle est venue chanter Mais où sont passées les gazelles?, enregistré avec des musiciens sud-africains. Cette fois, tout sourire, elle arbore top rouge, jupette bariolée et bandeau multicolore dans les cheveux.

Entre les deux, que s’est-il passé? La jeune femme a traversé la bohème new-yorkaise, rejoint l’insurrection punk, pratiqué l’abstraction no wave, avant de partir se balader en Afrique, et d’en ramener un mélange que l’on baptisera bientôt world music. Malgré ce parcours fulgurant, le nom de Lizzy Mercier Descloux n’a que rarement dépassé le cercle des initiés. Sa fin tragique -morte en 2004, à seulement 47 ans- n’arrangera rien, la coinçant dans la figure de l’artiste culte maudite. Il faudra une série de rééditions et la parution d’une première biographie il y a deux ans – Lizzy Mercier Descloux, une éclipse, de Simon Clair, aux éditions Playlist Society- pour que la musicienne retrouve une nouvelle visibilité. Et que son rôle de pionnière soit définitivement reconnu.

Une vie en chantier

Née le 16 décembre 1956, Lizzy grandit à Paris. Elle ne connaît pas son père, et sa mère est absente. C’est sa grand-tante Mauricette et son grand-oncle Roger qui l’élèvent, dans leur petit appartement, à côté des Halles, alors en pleine démolition. Pendant des années, le quartier sera un chantier permanent. Un peu comme le sera la vie de Lizzy Mercier (le nom de sa mère) Descloux (celui de son père), toujours en mouvement et en transformation. La première mue arrive à l’adolescence, quand elle découvre Rimbaud, Artaud, la Nouvelle Vague. Et puis le rock. Pas loin de chez elle, l’Open Market vend les premiers disques de protopunk et devient le point de rendez-vous d’une certaine jeunesse. Un jour de 1974, elle trouve sur son vélo un mot, laissé par Michel Esteban. De cinq ans plus âgé qu’elle, cet ancien étudiant en arts graphiques a flashé sur sa voisine d’en face. Il vient d’ouvrir Harry Cover, une boutique de t-shirts rock. Elle deviendra leur repaire. Ils y imaginent (et publient) un fanzine, Rock News, et lancent un premier label, Rebel Records.

À la fin de l’année 1975, ils décident de s’envoler pour New York. Ils découvrent une ville délabrée, au bord de la faillite. L’atmosphère y est électrique, mais aussi très créative. Lizzy Mercier Descloux passe son temps au CBGB, où se retrouve toute la scène underground. Elle croise Basquiat, Lydia Lunch, devient amie avec Patti Smith, tombe amoureuse de Richard Hell. Elle ose bientôt aussi un premier EP, sous le nom de Rosa Yemen. C’est Michel Esteban -ils sont restés amis proches- qui le publie sur son nouveau label ZE Records. Bientôt, l’enseigne deviendra l’un des ports d’attache de la scène no wave, mélangeant aridité punk, atonalité jazz et libertés disco. En 1979, Lizzy sort Press Color. Premier album toujours aussi libre et magnétique 40 ans après sa parution, il synthétise bien le son de l’avant-garde rock new-yorkaise, le décalage de l’immigrée en plus.

Deux ans plus tard, la Française enchaîne avec Mambo Nassau. Le disque a été enregistré aux Bahamas, dans les célèbres studios Compass Point de Chris Blackwell, le boss d’Island Records. Lizzy y improvise une sorte de punk-funk désarticulé, débordant d’énergie. D’autres influences commencent aussi à pointer, comme l’afrobeat de Fela (le morceau Lady O K’pele). L’Afrique sera en effet la prochaine étape.

À l’époque, malgré le succès assez confidentiel de Mambo Nassau, Lizzy Mercier Descloux est signée sur la branche française de la major CBS. De quoi financer ses envies d’un album enregistré avec des musiciens sud-africains, à Soweto.  » Nous trouvions que l’Afrique du Sud était beaucoup plus proche de la pop que ce qui se faisait ailleurs en Afrique » , explique Michel Esteban dans le livre de Simon Clair. Au passage, Lizzy réussit à se faire payer un voyage de deux mois à travers le continent. Sa bourlingue l’emmène en Égypte, en Éthiopie, en Tanzanie… Quand elle arrive à Johannesbourg, la chanteuse a beau être acclimatée, elle encaisse difficilement le racisme en place. Le système d’apartheid y est plus oppressant que jamais. Raison de plus, pense-t-elle, pour braver les interdits et prôner le métissage musical. Enregistré avec des musiciens locaux, carburant au jive et au mbaqanga local, Zulu Rock sort en 1984. Deux ans avant le Graceland de Paul Simon, il propose une formule inédite, un pont musical entre Afrique et Occident encore jamais entendu. Le terme de world music n’existe pas encore dans les bacs des disquaires. Il trouve malgré tout son public, remporte même le Bus d’acier, sorte de grand prix du rock français, décerné entre 1981 et 1996.

La suite passera par le Brésil ( One for the Soul au son très léché), avant de céder à des ambitions plus pop sur Suspense, en 1988. Ce dernier disque est un échec commercial, dont Lizzy Mercier Descloux va difficilement se remettre. Elle prend la tangente et disparaît des radars. Fauchée, elle vit à la campagne, dans une maison isolée, prêtée par un ancien amant. Elle écrit, lit, peint. Boit aussi, beaucoup. En 2003, les élèves de la saison 2 de la Star Academy reprennent Mais où sont passées les gazelles? Au même moment, Lizzy vient d’apprendre qu’elle est atteinte d’un cancer. Celle qui avait repris le standard Fever en le rebaptisant Tumour sur son premier album ( » When you kiss me, tumour/When you hold me tight« ), meurt le 20 avril 2004.

Chaque semaine de l’été, Retour sur une pionnière méconnue des musiques du XXe siècle

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