Les failles de Benjamin Booker

Benjamin Booker: "Ce qui m'intéresse avant tout, c'est d'écrire des chansons sur la manière dont les gens vivent, comment ils trouvent du sens dans ce qu'ils font." © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Pour son deuxième album, l’Américain s’est perdu à Mexico pour mieux se retrouver. Et remet du groove dans sa machine soul-punk-garage. Juteux!

L’histoire démarre à peu près comme cela. Bien calé dans le siège de l’avion, Benjamin Booker est plongé dans son livre. S’il s’en détache deux secondes et jette un oeil à travers le hublot, il peut voir les côtes caribéennes commencer à se dessiner. La destination? Mexico City. Mais ce n’est qu’un point de chute. Ou plutôt une « ligne de fuite« . L’objectif? Il ne le sait pas encore. Dans ses mains, le White Noise du grand écrivain américain Don DeLillo va lui donner un indice. « Je suis tombé sur cette phrase: « What we are reluctant to touch, often seems the very fabric of our salvation » (« ce que nous sommes réticents à affronter semble souvent être ce qui va justement nous permettre de nous sauver »). Tout à coup, tout se mettait en place. J’étais parti sans but particulier. Je me suis rendu compte que c’était l’occasion de mettre tout à plat. Je me suis dit: « OK, Ben, pour une fois, sois honnête avec toi-même. » J’ai pris une feuille de papier et j’y ai couché toutes mes failles, tous les abcès que je devais percer. Cette liste est devenue la colonne vertébrale du disque… »

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L’album en question vient de sortir. Intitulé Witness, il est le successeur d’un premier disque éponyme, publié en 2014. A l’époque, on y découvrait un jeune musicien américain au grain de voix bluesy et au paysage musical assez foutraque pour mélanger riffs punk et feeling soul. Avec les imprécisions mais aussi la fougue des débuts.

Né en 1989 du côté de Virginia Beach, Benjamin Booker a grandi en Floride dans une famille sinon sévère en tout cas « conservatrice« , comme il l’a un jour qualifiée en interview (son père est retraité de la Navy). A l’université, il étudie le journalisme. « Mais c’était plus un prétexte pour écrire sur les groupes et les rencontrer. D’ailleurs, j’ai aussi organisé des concerts à l’école, vendu du merchandising en tournée, etc. Je voulais m’entourer de musique en permanence.« A un moment, il finit tout de même par franchir le pas. « Les douze chansons de mon premier album sont les douze premières que j’ai écrites de ma vie. »

Forcément, quand il s’agit de pondre la suite, le doute arrive rapidement: s’agissait-il d’un heureux accident ou possède-t-il réellement en lui matière à dire plus? « Je n’avais pas envie que ça se termine déjà. Mais d’un autre côté, je ne voulais pas rejouer le même disque. » Le premier essai était né du chaos et des excès, que Booker fuira en trouvant refuge à La Nouvelle-Orléans. Mais bientôt, la ville deviendra à son tour un piège. « Beaucoup de distractions, de problèmes… » Entre les lignes, il glisse qu’il a failli se prendre une balle. Il prend à nouveau la tangente… Cette fois, donc, pour Mexico. Il y reste un mois. « Mais au départ, je n’étais pas certain de rentrer. »

Là, il lit, beaucoup (La Nausée ou L’existentialisme est un humanisme de Jean-Paul Sartre), se balade, traîne dans les cafés « C’est une ville très belle, où le bouillonnement artistique est de plus en plus important. Comme les loyers ne sont pas chers, de plus en plus d’artistes viennent s’installer. Un peu comme dans le New York déglingué des années 70.  » Avec ce que cela comporte aussi de violences. « Oui, même si je n’ai pas eu beaucoup de soucis. Un soir tout de même, dans un bar, je descends aux toilettes au sous-sol. J’entends qu’on me suit, puis qu’on frappe à la porte. Quand je suis remonté, il y avait des taches de sang sur les marches des escaliers, puis, arrivé au-dessus, une véritable mare! Un type avait dû se faire poignarder ou tirer dessus et avait tenté de s’abriter dans les toilettes. Une femme de ménage était déjà en train de passer un coup de raclette. Je n’en revenais pas! »

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L’icône Mavis

Sur place, alors qu’il pensait avoir pris de la distance avec son pays, agité notamment par les bavures policières envers les Noirs, Booker se rend compte également que le racisme est présent partout. « Vous ne pouvez pas y échapper. En tant que Noir, ça vous rattrape tout le temps. Je me souviens d’une tournée en Corée du Sud: même là, on pouvait trouver de la crème pour blanchir la peau.« Sur le morceau Witness, il a ainsi invité Mavis Staples, immense voix gospel/soul, icône musicale du mouvement des droits civiques (son père a marché aux côtés de Martin Luther King). A ses côtés, il chante notamment: « They say your dangerous/Cancerous/Not to trust/Now everybody that’s brown can get the fuck on the ground« … Au passage, on lui demande s’il a été surpris par l’élection de Donald Trump. « Il n’y a que les Blancs libéraux qui ont été choqués. Tous ceux qui font partie d’une minorité l’ont vu venir. Le fait qu’un candidat ait mené campagne en s’appuyant sur l’idée de la suprématie blanche ne m’a pas étonné plus que ça. On ne peut quand même pas oublier que les Etats-Unis restent quand même un pays qui s’est bâti sur un génocide et l’esclavage. Comment peut-on donc encore être surpris par ce qui est arrivé? » (rires).

Les failles de Benjamin Booker

À ce stade-ci, il serait tentant de faire de Witness un brûlot politique. Ce que son label n’a d’ailleurs pas hésité à mettre en avant. L’intéressé, pourtant, se rebiffe. « Ça m’a un peu agacé, j’avoue. Ce n’est pas un album politique en tant que tel. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est d’écrire des chansons sur la manière dont les gens vivent, comment ils trouvent du sens dans ce qu’ils font. » Plus loin, il précise encore: « Aujourd’hui, je ne pourrais pas être une personne plus différente que celle qui a enregistré le premier album, qui était en colère, déprimée. Je ne dis pas que Witness n’est pas nourri de choses très sombres, mais il cherche à en faire quelque chose de positif. Foncièrement, c’est un album optimiste, où je me rends compte que le plus important est de réussir à vivre dans le présent et de profiter des gens qui me sont chers. Et de ne rien prendre trop au sérieux: je crois que je me suis moi-même pris trop longtemps au sérieux…« 

• BENJAMIN BOOKER, WITNESS, DISTR. ROUGH TRADE. ***(*)

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