Les bobos du rock: le musicien est-il un athlète?

Mick Jagger © DR/magazine life, november 1981
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Comment le musicien peut-il éviter les blessures ou le cas échéant les soigner? Réponse avec Lieven Maesschalck, qui a encadré pendant quatre ans les Diables rouges, et voit de plus en plus d’artistes défiler dans son centre de revalidation.

« Souvenez-vous qu’à l’heure actuelle, il n’existe pas de pièces de rechange pour le corps du musicien. Nous vous recommandons donc de garder celles d’origine en bon état! » Non sans humour, Jaume Rosset Llobet met le doigt là où ça fait mal dans son ouvrage Le Corps du musicien: Manuel de prévention pour une pratique optimale, sorti en 2009 dans la collection Médecine des arts. Petits bobos, gros tracas… Outre les acouphènes ou les accidents, se manifestent souvent avec l’âge des problèmes de santé liés à la pratique de la musique. Posture non adaptée, programme de travail déraisonnable, voire manque d’activité physique… Les causes sont nombreuses et remontent souvent à l’apprentissage de l’instrument ou de la technique vocale.

Il y a quelques mois, l’ASBL Poppunt emmenait les Glücks, Bonnie and Clyde du rock ostendais, chez la star des kinés Lieven Maesschalck, à Anvers, pour enregistrer quelques vidéos, prodiguer l’un ou l’autre conseil et suggérer quelques échauffements aux guitaristes et batteurs soucieux de ménager leur principal outil de travail: leur corps. « Un chanteur échauffe souvent sa voix, non? Pourquoi ne pas échauffer le reste? Tout le monde peut faire des pompes contre un mur. Pour moi, c’est comme se brosser les dents: ça prend dix minutes par jour. C’est de l’entretien. »

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Bien connu dans le milieu sportif, Maesschalck, qui a accompagné pendant quatre ans les Diables rouges, est à la tête du centre de revalidation Move to Cure. Sa spécialité: le traitement de blessures orthopédiques complexes. Sa méthode: la rééducation fonctionnelle, la guérison par le mouvement. « Quand j’ai commencé avec mon père, on opérait beaucoup, mais souvent les problèmes subsistaient. Je me suis penché sur ce qu’on ne faisait pas bien et j’ai cherché et trouvé des solutions adaptées. On a construit une manière de bouger et de guérir. Il y a 30 ans, les gens détestaient le mouvement. Le repos était ce qui semblait le plus important dans la rééducation. J’ai étudié comment on pouvait reprendre ses fonctions. Dans beaucoup de cas, avec de bons mouvements et un travail actif de qualité, les gens peuvent optimaliser la situation, voire guérir, même avec de graves problèmes. Notre corps est incroyable, c’est à nous de le stimuler intelligemment. Je n’invente rien. C’est une méthodologie qui existe depuis au moins 100 ans. »

Footballeur, joueuse de basket… Mi-octobre, dans sa petite salle de gym avec vue sur l’eau, le charismatique kiné passe d’un patient à l’autre. Rectifie les positions et les efforts. « Oui, le musicien est pour moi quelque part un sportif, estime-t-il. Ceux qui jouent souvent d’un instrument, que ce soit dans le rock, la pop ou le classique, sont confrontés à des blessures et des problèmes assez typiques. Des contretemps que l’on peut prévenir et anticiper. Les artistes ont besoin d’avoir un physique. Ils doivent se préparer. Se sentir en forme. Etre en bonne condition est important sur le plan musculaire, mais joue aussi un rôle au niveau moral et mental. »

L’idée rompt un peu avec les clichés. L’existence de débauche et l’hygiène de vie souvent désastreuse du rockeur… « Doit-on être en forme pour être un grand musicien? Non. C’est une question de technique, d’inspiration. Mais éviter les soucis de santé devient important pour pouvoir vieillir dans la musique, exercer son métier sur le long terme. Ça vaut pour tout le monde: si tu es employé de bureau et passes toute ta journée devant un ordinateur, tu dois pouvoir le faire sur un fauteuil et dans une position qui ne vont pas complètement te bousiller avant tes 50 ans. »

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Les pathologies varient en fonction des instruments. Le violon et la position que sa pratique nécessite provoquent par exemple des soucis au niveau de la nuque, des épaules et des clavicules. Le batteur souffre souvent du poignet et du dos. Quant au guitariste, il se plaint généralement de l’épaule et des doigts, de tendinites et de douleurs musculaires. Des inflammations provoquées par un problème de déséquilibre. « Les musiciens sont sujets à des lésions d’hyperutilisation liées au stress répété infligé à des groupes spécifiques de muscles et de tendons variables en fonction de l’instrument pratiqué, écrit le chirurgien Grégoire Chick. Outre la dextérité, il existe un lien très étroit entre la main et le cerveau: les mains permettent de véhiculer les émotions qui donnent à une oeuvre toute son intensité (le toucher). De toutes les lésions dues à la pratique de la musique, plus de 41% concernent la main et le poignet. »

« Tout dépend toujours du type de mouvements et de positions pratiqués et répétés, précise Maesschalck. Pour les problèmes de nuque, j’ai reçu beaucoup de gens qui passaient leur vie au téléphone et le tenaient sans les mains. Pour le dos, les douleurs sont souvent liées au fait de rester constamment assis. Ce n’est pas spécifique au sport ou à la musique. Il est compliqué voire impossible de comparer la pratique de certains instruments à celle de disciplines sportives. Les soucis d’épaule et de bras sont des problèmes qui touchent généralement les volleyeurs, les tennismen, les pongistes, les golfeurs… Et les batteurs ont beaucoup de kystes comme les joueurs de tennis. Je peux utiliser avec des musiciens l’expérience que ces athlètes m’ont permis d’engranger. Mais les doigts des guitaristes et des violonistes, ça reste par exemple très particulier. »

Comment durer?

« Les blessures et les options thérapeutiques pour les musiciens ont commencé à être étudiées dans les années 80 », peut-on lire dans Le danseur et le musicien face à la blessure, travail réalisé par quatre étudiants en médecine de l’Université de Genève. En 1988, une étude menée par le Centre international des musiciens symphoniques et d’opéras réalisée sur 2.212 sujets montre que 76% des musiciens ont au moins un problème de santé, dont la plupart sont musculo-squelettiques. Les facteurs de risques? Le sexe, l’âge, la posture, l’environnement psychologique et les caractéristiques de l’instrument. « Les femmes sont plus rapidement atteintes de troubles musculo-squelettiques que les hommes. L’âge moyen de leur apparition est de 30 ans pour la femme et 36 ans pour l’homme. Une mauvaise position assise ou debout peuvent faciliter l’apparition de troubles. Un violon trop gros, une contrebasse de faible qualité ne font qu’augmenter les efforts du musicien pour obtenir le son dont il a besoin… »

« Plusieurs études mentionnent l’incidence élevée des troubles musculo-squelettiques liés à l’exécution de la musique (Zaza, 1998; Gallien, Joubrel, Pétrilli & Robineau, 2001), affirme Qualita, le réseau canadien des cliniques d’ostéopathie agréées. L’exécution de mouvements répétitifs et l’asymétrie d’une posture maintenue sur de longues heures de pratique peuvent endommager les tissus. Différents problèmes sont susceptibles d’affecter les musiciens: douleur au dos, tendinite (inflammation des tendons), névralgie (douleur au niveau d’un nerf), paresthésie (sensation anormale), perte de force musculaire, arthrose (usure des articulations)… »

Bono
Bono© DR

Ces dix dernières années, Lieven Maesschalck voit de plus en plus de musiciens débarquer dans son cabinet. Il a notamment travaillé avec les rockeurs de Triggerfinger. « Ça a commencé avec des pop stars. Des gens comme Koen Wauters et Helmut Lotti, tu connais hein… La jeune génération ne se sent pas concernée, elle pense ne pas en avoir besoin. Les gens réagissent toujours une fois qu’il y a des problèmes: le bas du dos, les disques… Je vois surtout des musiciens qui ont eu des soucis, prennent de l’âge ou se sentent moins en forme. Mais on remarque qu’une fois rétablis, ils font davantage attention à leur condition. Ils s’entraînent eux-mêmes à la maison. La question à se poser, c’est comment je peux encore exercer ma passion, mon métier à 60, 70 ou 80 balais. »

Une question fondamentale alors que les musiciens (merci la chute des ventes de disques) doivent passer de plus en plus de temps sur les routes et seront amenés à prolonger leur carrière. Mieux vaut s’entretenir et prévenir que guérir. « Par un entraînement musculaire spécifique, il est possible d’élever le seuil de tolérance des tissus en augmentant leur force et leur élasticité, affirme sur le site de l’Université de Sherbrooke René Therrien, un professeur québécois à la Faculté d’éducation physique et sportive qui s’intéresse à l’entraînement musculaire au profit de la performance musicale. Ceci permettrait donc aux musiciens de bénéficier d’une plus grande plage de manoeuvre et d’exécuter davantage de mouvements répétitifs avant d’atteindre le seuil d’intolérance des tissus. »

« On peut éviter certaines situations avec de la prévention, abonde Maesschalck. En ce qui concerne les batteurs, la douleur se fait surtout sentir aux poignets. On peut contourner ça avec une bonne technique. Comme pour un joueur de tennis. Mais aussi avec du travail physique. Le batteur est toujours assis et souffre souvent du dos. On peut prévenir avec de l’ergonomie, certaines positions, en adaptant la position ou la hauteur d’un siège mais aussi avec un bon travail musculaire. » A Barcelone, il existe d’ailleurs un Centre de prévention des arts du spectacle qui propose plusieurs formations liées au rapport entre le musicien et son corps.

Ozzy, Iggy, Mick et Johnny…

Séance de vélo d’appartement, de corde à sauter et exercices vocaux préenregistrés… Ozzy Osbourne s’adonne avant chacun de ses concerts à dix minutes d’exercice physique. « Engager un coach m’a permis de respecter un rythme. Ce qui m’a été très utile vu que je suis adepte du tout ou rien: un mois je vais me tuer au travail sur le tapis roulant et le suivant, je vais rester chez moi, la tête enfouie dans mon frigo. Mais au bout d’un moment, j’en ai eu marre d’avoir un type planté chez moi à gueuler: « Fais-m’en cinq de plus! » J’ai failli boxer ce bâtard deux ou trois fois. » (1)

Ozzy Osbourne
Ozzy Osbourne© DR

Il y a une petite décennie (il avait déjà 56 ans), Iggy Pop déclarait pratiquer 40 minutes de taï-chi quotidiennes et régulièrement enchaîner les longueurs de piscine. Mick Jagger affirmait en 2013 courir plusieurs kilomètres, nager, boxer, faire du vélo cinq à six jours par semaine, et consacrer du temps à la danse, à la gymnastique, au sprint et au yoga. Quant à Johnny Hallyday, 72 balais et toujours sur pied, il raconte depuis des lustres faire du sport à longueur d’année. Vélo, muscu, cardio…

« On a appris quelques trucs concernant l’échauffement ou la position idéale à adopter, mais on faisait déjà quelques exercices avant de rencontrer Lieven Maesschalck, explique Alek, guitariste et chanteur des Glücks. J’ai entendu tellement de trucs flippants. De musiciens se plaignant de ne plus pouvoir jouer certaines choses. Parfois même avant d’avoir atteint les 30 ans. Quand tu imposes à ton corps des heures et des heures d’efforts, il te le fait payer. »

« J’ai déjà ressenti des douleurs gênantes mais jamais au point d’annuler un concert, commente Devil D’Inferno, batteur de l’Experimental Tropic Blues Band. Quand tu pars en tournée pendant trois semaines, que tu passes ta vie dans le van et joues tous les jours, ton dos et tes bras te le font savoir. Le mec qui m’a appris à jouer étudiait au Jazzstudio à Anvers et m’a donné quelques conseils: des étirements des bras, des avant-bras, des doigts… Il n’y a pas de secret. J’ai déjà vu Jon Spencer s’isoler, s’échauffer et s’étirer avant de monter sur scène.  »

Comme pour tout le monde, le régime alimentaire joue aussi un rôle important dans le maintien d’une santé optimale. « Mais lorsque je prescris un régime végétarien avec des suppléments protéiques -le régime idéal-, la plupart des musiciens détournent leur regard et acquiescent sans trop y croire en me demandant dans le même souffle quel resto de station-service en bordure d’autoroute offre ce genre de menu », explique John Chong, directeur des Musicians Clinics of Canada. Il y a encore du chemin…

(1) DANS TRUST ME, I’M DR. OZZY: ADVICE FROM ROCK’S ULTIMATE SURVIVOR, GRAND CENTRAL PUBLISHING.

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